Sonjanthrope
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Craquer deux silex dans la nuit pour en faire
gicler le reste de soleil qu’ils contiennent
et son odeur d’étés consumés et de serments
échangés en cachette entre les rangées de sarments
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Voilà l’unique ressource que le temps propose
aux vieux trafiquants de mots qui se voulaient
poètes en un siècle plus favorable où les pins
étaient plus fiers les cigales plus obstinées
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Où les roseaux et les chardonnerets flûtaient
plus joliment À l’automne c’étaient les grives
attirées par le violâtre grisant des raisins
au point qu’on ne pouvait ni les faire fuir
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ni les faire taire Si l’on gesticulait pour les
effrayer elles s’envolaient nonchalamment
se reposaient quatre ou cinq pas plus loin
sans cesser leurs titirlitutis un rien moqueurs
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pareils entre de vieux neurones aux étincelles
qui s’imaginent durer autant que des étoiles
ou encore aux chocs dans la nuit de deux lexis
exprimant le reste de soleil qu’ils contiennent
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Une mouette
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Au-dessus de la petite place de mon quartier
plane en se plaignant une mouette à l’élégance
immense D’ailes gris-blanc au double galbe
elle glisse son envergure entre les cheminées
et rase les toits avec une nonchalante virtuosité
Mon pain sous le bras je reste à contempler
ses évolutions jusqu’à ce qu’une décision
subite la pousse à s’éloigner vers la Seine
d’un vol rapide et régulier le long de l’avenue
Les passants pressés m’évitent Ils me jettent
ce regard apitoyé qu’on réserve aux idiots
Emmenant avec moi la fascination d’un rêve
d’intense liberté je me fais violence pour casser
l’hypnose et je tourne au coin de la rue qui va
me ramener jusqu’à la porte de chez moi.
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Torii et « leurre du seuil »...
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Il est tellement simple d’être juste un écrivain assoiffé de gloire, plutôt qu’un prospecteur qui cherche à franchir, grâce au sésame du langage, telle porte analogue à un mirage en lequel, soit on n’entre pas, soit si l’improbable se produit, l’on pénètre dans un monde qui est, pour une commune mesure, celui qu’on vient de quitter !
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C’était un anachorète mental ; il n’avait pas d’autre dessein que celui de réussir à formuler une pensée de telle manière qu’elle soit apte à durer davantage que son auteur. Les écrits seuls nous ont transmis quelques parcelles signifiantes de l’âme des humains qui nous ont, depuis des millénaires, précédés. Certes l’art pariétal des grottes de la préhistoire est un témoignage, mais précisément le récit – notamment – lui fait défaut...
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L’homme est le jouet de l’univers. De cet univers, grâce à la parole, l’imagination poétique, puis la science qui par un processus complexe d’abstraction en est issue, il fait des mondes qui deviennent ses jouets.
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L’éther de l’univers, en ce qu’il est inconcevable, par l’unification d’une succession d’insuffisances, voire d’erreurs, finit par devenir ce monde physique dont la science construit la seule image exploitable en termes d’efficacité. Cette image n’est jamais achevée, car elle n’est pas la vérité de l’univers mais la conception qu’à travers le filtre de son cerveau, s’en font les êtres humains.
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La science moderne est une religion réussie, qui a pour divinité l’unité mathématique de l’icône de son monde collectif, celle qui adviendrait si se trouvaient conciliées et amalgamées en une seule les trois équations ultimes auxquelles Einstein, ce poète, était parvenu. Il est assez troublant qu'une trinité soit apparue dans l'affaire...
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Archimède: celui qui, par la force d’un biais particulier de sa pensée, a donné à la parole le moyen de se bâtir une connaissance capable d'être convertie en réalité, autrement dit appréhension raisonnée du monde matériel : en devenant science physique, cela ouvrait le chemin d’une puissance ignorée.
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Un chercheur scientifique, c’est quelqu’un qui est inscrit dans les règles d’une collectivité, laquelle contrôle, accepte ou rejette, la fraction de la réalité scientifique qu’il s’est attaché à débroussailler et construire avec les outils collectifs. Un chercheur en poésie est seul, n’est inscrit dans rien, prétend à la responsabilité entière de son monde. Quoi de surprenant à ce que la plupart de ses travaux demeurent incompris ?
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Il n’y a pas de professionnalisme possible en poésie. Soit l'on en est un amateur, pour ne pas dire amant, solitaire ; soit l'on en sort et ce qu’on aura écrit « professionnellement » aura perdu son essence poétique, pour devenit du texte, du texte sans magie, éventuellement admirable, mais hors de la sphère du poème, quand même il en aurait conservé l’apparence...