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 Pour Sam


 

                                1.    L’épouvantail

 

Il se passe d’étranges choses quelque fois par les nuits de pleine lune. En entendant, « miaou-miaou », le chat Maïnou miauler dehors, j’ai descendu dans mon jardin. La nuit était illuminée par l’astre suspendu ainsi qu’une reinette rousse à la pointe du plus grand pin. Je me suis approché « Miaou, miou, miou… » : le son venait du potager. J’ai fini par trouver Maïnou blotti dans la pénombre de l’épouvantail. Ses yeux dorés fixaient le bonhomme de paille, habillé d’un vieux pyjama, d’un tablier de ferme à carreaux verts et blancs attaché à la taille, les bras en croix comme pour interdire le passage aux oiselets pillards, qui s’en moquaient éperdûment. C’est alors que je m’aperçus qu’une voix basse sortait du visage d’ombre qu’on imaginait sous son large galurin : « …C’était par une belle nuit d’octobre, expliquait-il au chat, que la chose m’est arrivée : il allait faire bientôt jour, comme à présent la lune haute dans le ciel était ronde comme une hostie. L’herbe scintillait de rosée qui avait assombri le bas de mon pantalon gris. J’aimais, tôt le matin, aller marcher dans la prairie : en ce temps-là je taquinais un peu la poésie, et visiter en solitaire la nature, quand le silence n’est troublé que par les hou-hou des oiseaux de nuit, m’emplissait d’une émotion tranquille. Si j’avais su… Je m’étais arrêté au bord du ruisseau noir qui, à peine visible, se tortille en gloussant parmi les hautes herbes, quand j’aperçus la lune, souriant comme un polisson qui se réjouit d’avance de jouer un bon tour, occupée à toucher d’un coup de rayon magique, là un bosquet, ici des touffes d'ajoncs, plus près, la prairie où je me tenais. A chaque fois, les diamants de la rosée se changeaient brusquement en givre. Avant que j’aie eu le réflexe de m’éloigner, le rayon m’a figé aussi et je suis devenu celui qu’on peut voir aujourd’hui… Plus tard, quelqu’un qui passait par là, jugeant que ma présence serait plus utile dans un potager, m’a emporté et m’a planté ici. Et voilà toute mon histoire… » Le chat pensif a fait « miou – miou », puis est venu pour se frotter entre mes jambes. J’ai compris qu’il voulait rentrer. Tout en songeant à cette aventure, je suis allé ouvrir la porte de cuisine, et je me suis fait un café.

 

 

           

                                           2.  La Follaraigne

 

 

Il était une fois un Changelin qu’on disait né au pays des Vikings. Mais sa marraine, fée distraite, l’avait fait brun, taciturne, avec des yeux noirs et perçants : il se sentait fort étranger parmi les enfants du pays, tous blonds, bruyants, avec des yeux couleur de ciel. Ce sentiment devint si fort qu’il décida de chercher un pays où il pourrait passer inaperçu. Un maigre baluchon noué à une canne qu’il avait posée sur son épaule, d’un pas alerte, il partit découvrir le monde.

            Après bien des errances, un jour d’octobre, il parvint au pays normand. Au détour d’un chemin creux, il se trouva brusquement nez à nez avec un passant qui lui sourit : « Où vas-tu ainsi mon garçon ? Qui es-tu ? A voir ton accoutrement et ta maigreur, tu n’es pas de notre village… » Le Changelin fit une réponse évasive, d’où il ressortait surtout qu’il aurait volontiers fait un bon repas, et qu’il recherchait la région où il trouverait « ses semblables ».

« Viens avec moi, dit l’homme. On m’appelle « le maisonnier » parce que mon métier, chez nous, est de bâtir des abris où nous avons coutume d’héberger les gueux, les orphelins, les va-nu-pieds et les poètes… » Le Changelin hésita un moment.

            «- Suis-moi, voyons. Ce n’est pas loin : il suffit de passer le portail que tu vois là-bas. Le village s’appelle Por Canfolis, et l’on t’accueillera à bras ouverts… »  Il faisait froid, tout était recouvert d’une neige si épaisse qu’elle semblait éternelle. Finalement, le Changelin dubitatif accepta d’emboîter le pas au maisonnier. Tandis qu’ils empruntaient la rue centrale du village, les gens sur le pas de leur porte fronçaient les sourcils : « Qui c’est ce type maigre comme un coucou que le maisonnier nous ramène ? – Tu crois qu’il vient ici faire son nid ? – Moi, je trouve qu’il a l’air inoffensif… - Il a des habits de Viking ! – Bizarre… » Le Changelin tourna un instant la tête, puis fit celui qui n’avait pas entendu. « Ne t’en fais pas, disait le maisonnier, au fond ce sont de braves gens… » Comme pour confirmer ses dires, des filles en riant vinrent à leur rencontre : « Moi, je suis Clochelune… - Moi, c’est Adeline34 ! » dit une autre, l’air espiègle. « - Moi c’est La Fourmi. Et toi quel est ton nom ? » Un peu embarrassé, le Changelin répondit qu’il était sans père, et qu’on le surnommait Reivax, parce qu’il avait les yeux toujours axés sur son rêve.

            « Tu es le bienvenu, Reivax ! Est-ce que tu vas aider le maisonnier à finir notre nouvelle auberge ? Il aurait bien besoin d’un aide… » - « Nous parlerons de tout cela plus tard ! » grogna le maisonnier. « Viens chez moi te réchauffer. En mangeant une bonne soupe, tu me raconteras tes aventures… »

             Le lendemain, une joyeuse bande, emmenée par Adeline34 et Clochelune, frappa à la porte : « Reivax, Reivax ! Viens t’amuser un peu ! Tu ne vas pas te mettre au boulot tout de suite… Nous allons te faire visiter le village… » Le Changelin pensa qu’il serait en gracieuse compagnie. Il prit sa veste et les suivit, parmi les plaisanteries et les éclats de rire.

Toutes les maisons étaient plutôt pimpantes, excepté une, dont la façade était triste et sévère.

« - Qui donc habite ici ? » dit le Changelin. « - Chtttt ! Parle plus bas. Elle pourrait nous entendre… Elle voit à travers les murs.» murmura Adeline34. « - C’est la maison de la Follaraigne des Glaces ! Elle tisse sa toile toute la journée ! »  « - Sur cette toile, il n’y a, comme motif de broderie, que son portrait, qu’elle dessine avec les plumes d’oiseaux exotiques. » « - Elle les fait venir de loin, et leur coupe régulièrement les ailes… », ajouta La Fourmi. « - C’est une espèce de sorcière, à cause d’un sort qu’elle nous a jeté, le pays est figé à la saison de Noël ! C’est comme ça… »

Clochelune prévint gravement : « - Fais attention de ne jamais la contrarier, sinon tu n’auras plus qu’à quitter le village… Et ce serait triste pour nous ! Pour une fois qu’on a quelqu’un pour s’amuser ! » Le Changelin frissonna un peu, et vérifia que sa veste cachait bien ses ailes irisées de fils de fée. Malgré la joyeuse journée et la charmante compagnie, la nuit il fit surtout des cauchemars :  la Follaraigne, avec d’immenses lunettes où brillaient des yeux à rayons X, et de grands ciseaux, tentait  de lui rogner ses plus belles rémiges, dans son sommeil. Le lendemain, il salua le maisonnier, fit ses adieux à ses nouveaux et nouvelles amies, jeta son baluchon sur son épaule et reprit son chemin.


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