Odyssée 9
En premier après une longue voie d’eau libre, chantante sur laquelle la lune en s’éparpillant dans la nuit multipliait les signaux contradictoires te fiant à ta seule étoile tu as poursuivi inflexiblement un chemin dont tu refusais de savoir s’il te mènerait quelque part
Jusqu’à te retrouver bizarrement freiné ton esquif presque immobilisé par instants dans une espèce de mer des Sargasses fortement salée où il fallut te faufiler comme une anguille parmi les épaves et vestiges variés fragments d’espérances anciennes reliques de gloires égarées déchets de la Civilisation réunis à cet endroit par la force de Coriolis
Parfois même tu croisais allongé dans l’eau le ciel figé dans ses yeux creux les vêtements délavés et plaqués sur les restes d’un corps malodorant le fantôme d’un noyé les doigts encore crispés sur le livre de bord qu’il avait dû emporter juste avant que son navire ne sombre
Et qu’il tenait sur sa poitrine comme pour retenir un ultime battement de cœur mais toi avec ta curiosité coutumière tu t’en emparais au risque en te penchant de chavirer à ton tour sans un seul livre pour t’accompagner
Puis pour patienter dans ce calme exaspérant après l’avoir laissé sécher au soleil sur le plat bord tu t’efforçais de déchiffrer les pages ondulées dont l’encre en partie diluée par le flot racontait un drame presque illisible dans des termes d’une décevante banalité
Enfin lorsque le vent reprenait quelque force après un dernier regard compatissant tu te hâtais de t’éloigner le cœur plein de l’impression pénible que ce mort rencontré au carrefour des possibles était l’un des doubles de toi-même.