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14 mars 2015 6 14 /03 /mars /2015 12:37

Micro-mystères

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Entre les tours des cités louvoient les vols de tourterelles.

Le bouleau du jardin n'a pas encore poussé de bourgeons.

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Elles s'y posent, balancent aux ramilles et se font la cour,

tantôt roucoulant, tantôt en silence, immobiles à l'angle

faîtier des toits tels des ornements sculptés dans la pierre,

surveillant les environs où vont les ombres déformantes

des nuages, les unes limaçant à travers le gazon, les autres

se coulant de façade en façade, et d'un balcon au prochain

sautant avec l'agilité qu'on prête d'ordinaire aux monte-en-l'air.

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Leur silence est couvert par le ronflement des automobiles ;

les cris des enfants réveillent les échos du préau de l'école.

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Ce matin est au beau et le ciel éclairé d'un duvet de soleil.

On sort goûter l'air tiède du printemps qui semble purifié.

Les heures par les gosiers obstinément roucoulent, des pigeons

poursuivis par leur marotte à petits pas précipités d'arpenter

les trottoirs. Et les voyant hocher mécaniquement de la tête

pour approuver on ne sait quoi, le passant se dit que le quotidien

recèle de petits mystères qui n'intriguent pas moins que les grands.

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Couchant ordinaire

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Il neige des roses sur l'île de la Cité

En aval de la Seine sur la barque d'or d'Isis

s'éloigne un vieux soleil embarbé de vapeurs

qui flèche avec ce qui lui reste de vigueur

le dôme étincelant du Panthéon

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Des amoureux se pressent et s'embrassent

sans pudeur appuyés au parapet du Pont neuf

Peut-être se sentent-ils à la fois acteurs

et spectateurs du film de leur propre vie

qui les projette dans une émouvante éternité

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Ce n'est pas le pire endroit que Paris pour s'aimer

Nombre de souvenirs auxquels je tiens m'en restent

Traverser le jardin des Tuileries en compagnie

de son amour par un printemps qui excite même

les nus de pierre de Maillol est un moment inoubliable !



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Certains jours...

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Certains jours à Paris sont faciles

On déambule au soleil de surprise en surprise

Des artistes sauvages ont décoré les murs

de chefs-d'oeuvre étranges qu'ils ne signent pas

Peu leur chaut de s'effacer devant leur création

Ils sont dans le même état d'esprit que Dieu

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Les rameaux des arbres brillent sur l'intense

bleu du ciel A travers on aperçoit le Sacré-Coeur

en coupoles couleur de lin qu'un escalier

innombrable rejoint jusqu'où circulent lents

les anges à peine froissés en aubes de nuages

Ils viennent voir là-haut si les vignes renaissent

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Donne-moi ta petite main ma chérie ma tendresse

Passons du même pas le seuil gai du printemps

Quoique le monde ailleurs soit horreur et détresse

je veux plonger au fond de tes yeux transparents

Y voir se raviver notre ancienne promesse

comme au soleil d'été s'ouvre un bleuet des champs.





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Tu ne diras rien d'autre…

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À mon ami Louis Girault, in memoriam.

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Tu ne diras rien d'autre qu'adieu

tandis qu'en sifflant la flûte s'atténue entre les pentes,

ses échos répercutés par les capuchons neigeux des sommets

Au bord des lacs des canots de roseau circulent

les rames se cassent sur leurs reflets

Tu ne diras rien d'autre qu'adieu

Le vent glacé de la puna coupe le souffle et soulève

sous leur ventre la toison des vigognes gracieuses

Des femmes aux joues rouges passent en riant sur le chemin

el camino que conduce al pozo

emballées d'épaisses jupes mantes de couleur aux épaules

Tu ne diras rien d'autre qu'adieu

Ce sera comme si sur le chemin marchaient des souvenirs

tellement anciens que ta respiration se déchire à seulement

vouloir les suivre tandis qu'au loin persiste faiblement

la voix nostalgique de la kena

qui parmi les échos se raconte à elle-même l'odeur froide

l'odeur d'une si froide solitude que rien n'y saurait remédier

Alors tu ne diras rien d'autre qu'adieu





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La nature se vengera

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Violet sommeil profil sombre plaine enténébrée

Long esclavage d'un amour sans joie compensatrice

Nulle âme ici qui vive - seulement des cendres moirées

d'argent par les vestiges d'un feu ancien ô laves rouges

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Penchons notre oreille sur coquelicots et hibiscus :

Connectés au for intérieur de la planète ils làchent

dans l'air par leurs étamines de silence une nuée

de récriminations devant l'irrémédiable Dans les fleurs

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on entend les sentiments de la terre exactement

comme ceux de la mer dans les coquillages pareils

à des écouteurs wifi Hélas en leur murmure indistinct

ne se détache clairement que le mot « vengeance ».

 

 

 

 

 

 

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Au Cap-Martin

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Frêle circonstance à quoi j'agrafe mon poème

dans le dos de l'univers tel un poisson d'avril

Chaque mot est une écaille et chaque écaille

une étoile que je suis peut-être seul à voir

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Le soleil levant a sorti son trombone doré

du pavillon duquel s'essaiment mille mouettes

tandis que l'accompagne le vent sur le clavier

virtuose des écumes et le ressac avec ses maracas

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Enfant du jour à l'extrême pointe d'une avancée

de pierre un cormoran noir lisse sa robe d'encre

déploie au soleil d'amples ailes et du ressort fléchi

de ses pattes s'élance au ras des flots jusqu'à

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plonger soudain un long moment pour enfin reparaître

en surface en serrant dans son bec une chose argentée

qui se tend et se détend flexible comme lame de navaja

qu'à la fin l'oiseau déglutit d'un gosier d'avaleur de sabre.

 

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Feu de camp d'un autre siècle

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Ce feu qui brûle encore à peine au bord

du cercle de la nuit

ne va pas le piétiner,

retiens-toi de l'éteindre ! Les sarments

déjà consumés ont gardé la forme blanchie

des os de ces morts qui jonchent ta mémoire...

Ce sifflement de flûte mêlé de plain-chant

venu d'outre-horizon, c'est le bruit

de vitesse de la vie qui file comme le vent !

Par les hublots des jours en passant

juste un aperçu de l'éternité – puis adieu !

Restent sous ton front les cristaux chanteurs

des oiseaux, un son si pur qu'il donne la migraine !

Au bout d'un invisible lien

tel un ballon d'enfant grimé d'un sourire publicitaire

tu traînes avec toi la lune au long du labyrinthe.

Myrthes et térébinthes encombrent le chemin

qui serpente entre des hêtres enfeuillés de rêves.

Je t'en prie ne va pas piétiner le feu

le reste du pauvre feu de nos soirées d'adolescents

sur la plage où ronflaient les guitares

du ressac dont l'écume

flamboyait au bord du cercle de la nuit !





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Aujourd'hui, hier et toujours.

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À petits pas à petits pas comme en dansant

elle s'avance avec son inaudible tambourin :

Ce sont minutes qui te tiennent tant à cœur

que tu ne les laisses pas s'enfuir sans battre

avec elles du même tempo de noire à soixante !

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Nous nous aimions Nous nous déchirions

dans la sphère translucide de notre unique

et même éternité On croyait le firmament

la terre les forêts les couleurs les étoiles

et jusqu'à cette mer qui nous enseignait l'infini

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on croyait qu'il s'agissait d'un Éden à nous seuls

destiné - où serrer dans nos bras la Beauté nue

qu'on pouvait sur l'Autre embrasser à bouche-

que-veux-tu, la nuit, au nez et à la barbe du Temps !

Vie qui s'avançait à petits pas déjà – comme en dansant !

 

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Lieu commun et mains vides

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Qu'offrir ce matin à la pâleur du petit-jour

Peindre un bouquet de joues d'une aurore d'autrefois

(On aura compris que j'entends un bouquet de roses)

d'un pinceau japonais effilé comme une mouette

errant à travers l'immensité d'une feuille de papier de riz ?

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Une barque attend parmi les feuilles de lotus

qui repoussent dans l'irréel la lumière du reflet

Tel est l'étang que je contemple assis sur un vieux tronc

De chable abattu par la tempête de janvier 99

en m'efforçant de méditer sur l'éternel et l'éphémère

.

Fort à propos à cet instant frisson d'ailes diaphanes

me frôle un insecte bifide qui file vers l'autre rive

et je me demande si dans sa tête minuscules chaque

seconde lui semble une heure et la journée entière

un digne temps de vie ou s'il a comme moi conscience

.

que chaque nouveau jour passe vitement à l'instar

des années dans l'existence flamboyante des étoiles...

 

 

 

(1992)

 

 

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