Un tabac de Virginie
1.
C'est comme d'avoir retrouvé un fragment
De vie qu'on avait perdu et le cœur bondit au point
qu'on craint que la joie ne le brise
Au miroir d'un regard le puzzle du monde reprend
Chaque pièce de son image
Comme un rêve reconstitué sur lequel une lune brillante
Est suspendue
Et voici qu'on aime la nuit à visage de jeune fille
Fraîche et pure comme si c'était notre enfant
Avec ses petites nattes d'autrefois
Son rire malicieux et son amour sans limites
Alors on ressent le besoin de dire à tout ce passé
Qu'une brune lumière vient tout d'un coup
D'éclairer
Que l'on n'en veut plus à la vie et qu'on se sent capable
Désormais de mourir en paix
2.
Dans ses yeux d'enfant simple
On croit voir miroiter des choses insondables
Comme au regard des poupées qu'habiterait un ange
Et qui soudain posées sur un canapé pourpre
Se mettraient à parler
A dire des choses qui bouleversent à travers
Ses longs cheveux en souriant
Et chacun regarde en se demandant s'il est possible
Que cette figure miraculeuse
Soit vivante
Et quand on la prend dans ses bras
Qu'on a envie de la bercer ainsi qu'un nouveau-né
On sent qu'elle est souple avec du vrai sang qui circule
Sous sa peau tiède et chargée d'émotion
3.
Telle est la poésie
Qu'on l'aimait déjà tellement avant de la connaître
Qu'on ignorait si l'on allait la rencontrer jamais
Entendre sa voix vive au timbre pur comme un gong
D'argent où serait dessiné une spirale infinie
Et qui résonne au fond de nous
Ainsi qu'au temple du cœur où défilent les souvenirs
En robe couleur safran
Comme une procession de moines zen à l'aube
La barre de métal qui fustige les échos
Jusqu'aux plus hautes neiges des hautes montagnes
Là où seul les anges vêtus d'un plumage d'hiver posent leur pied
Dans ces instants où soufflent les tempêtes
Et où l'on ne peut les voir
À l'instar de celui qui s'assit à côté de moi parmi les météores
Hier soir Alors qu'il bruinait du champagne sur la table
Parmi la pagaille des plats exquis assaisonnés
D'un ouragan de bonheur
4.
Avec une cocarde au front de grands yeux transparents
Elle fait la révolution
D a n s o n s l a C a r m a g n o l e
Tout ce qui était prévu du processus habituel s'est trouvé
Fracassé comme une banquise par un brise-glace
Juste une enfant l'air grave avec une cocarde au front
Bleu blanc rouge et de grands yeux transparents
Au fond desquels palpitait ainsi qu'une petite étoile
Son âme intacte
Comment ne pas aimer le monde à travers ces yeux purs
Sur lesquels veillent d'autres yeux
Des yeux de mère aimante ou peut-être d'un grand oiseau secret
Dont les ailes de cristal renaissent indéfiniment
Sur un autel de flamme
Tout ce qui était prévu du processus habituel
Fracassé comme une banquise par un brise-glace
D a n s o n s l a C a r m a g n o l e
5.
Nous l'avons serrée entre nos bras en lui disant adieu
Mais en sachant que c'était seulement un au-revoir
Que seule une barrière de vent pourrait nous séparer
Avec son bruit de « train à grande vitesse »
Nos mains jointes en esprit faisant la ronde pour toujours
Comme dans une cour d'école
Que tout ce qui avait changé en nous, que tout ce qu'elle avait
Bouleversé resterait comme un indétrônable
Triangle d'azur immaculé posé sur l'horizon
Là où l'amour fait des vagues
Là où naît la mer et chante la sirène qu'elle a enfantée
Nous l'avons serrée dans nos bras et dans ses cheveux
Nous avons respiré comme un parfum d'ambre de résine et de jasmin
Quelque chose de brûlant et d'émouvant
Comme dans la clarté d'un vitrail où la divinité bénit
Lorsque montait l'odeur d'encens de l'église de mon enfance
Ce jour où les cierges et les fleurs m'ont appris
L'incroyable nouvelle que ma mère avait regagné
Sans moi l'Éternité
6.
Elle a fait signe avec ses mains d'amoureuse
Et son visage souriant de jeune femme aimée
La fenêtre ouverte sur la nuit s'amenuisait
Au-dessus des trottoirs luisants
Qu'importait ! Qu'importait !
Sa désormais vivante image ainsi qu'une icône d'or
Brillait vibrante au fond de nos cœurs
L'humanité, l'amour des femmes et des filles et des fils !
La blessure du monde était refermée !
La nuit ne pouvait plus nous atteindre.
Nuit du 29 au 30 octobre 2011