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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 11:01

 

 

                                      In articulo mortis

 

Dans l'illusion de la vie, on croit voir la Loire, ses larges reflets, sur l'autre rive ses vergers, ses jardins, ses prés élyséens, ses vignes pourpres, ses châteaux immaculés aux tourelles bleutées, toute une imagerie multicolore et paradisiaque digne des Livres d'Heures.

 

On croit voir ! Pour autant que ce soit à distance de promesse ! Tout est proportionné à taille de géant lorsqu'on est haut comme trois pommes et que la moindre table a l'air d'un temple avec quatre colonnes et un sombre plafond !

 

Le jumeau dans la glace de l'armoire nous tire la langue, depuis cette autre pièce impénétrable, son royaume, où les objets familiers, les meubles, les tableaux, les tapisseries, nous semblent nouveaux, inverses et beaux...

 

Viens donc, splendeur ! Que la main dans la main nous montions ensemble au cœur de ce printemps chanteur et enchanteur ; à gauche à droite du sentier tortillard, lièvres et levrauts détalent sous les campanules ; les chardonnerets volètent au-dessus des hibiscus ; les piverts toctoquent aux troncs comme si des nymphes allaient leur ouvrir.

 

L'illusion dure tant que notre promenade n'a pas dépassé la crête de la colline, cependant qu'un seul regard en arrière laisse soupçonner combien la réalité, en se noyant dans la brume du temps, se révèle minuscule, mesquine même !

 

Bien sûr, en vieillissant, c'est de plus en plus rapidement qu'on descend vers le fleuve, et vers toutes les beautés en lévitation qu'il reflète dans ses nuages. L'odeur des roses et des giroflées en laquelle baignait la statue de la Vierge s'altère peu à peu, devient amère comme une sueur malsaine, et finit par virer aux senteurs d'hôpital...

 

Tout proche enfin, avec l'avance de l'âge, on découvre que les châteaux n'étaient que faisceaux de cannes pourrissantes, les jardins des jachères d'orties, qu'il n'y a ni prairies grasses, ni vignes, ni vergers : seulement, comme disait Mallarmé, «un peu profond ruisseau calomnié», non loin duquel on entend quelqu'un qui cloue un cercueil.

 

 

 

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