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7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 09:55





Faux-monnayeurs

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Comme l'ombre d'un hêtre cache aux hôtes de l'étang

la menue monnaie de lumière neigeant des constellations

si bien qu'on entend crapauds et grenouilles qui réclament,

tel sur ma vie l'Obscur s'étend et mille voix en moi s'élèvent !

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En philosophe la parole, ah, j'aimerais la leur donner : hélas

à moi raisonnement, pensées, sont étrangers. Seul face à la

haute tour jaune et solitaire, une lance à pointe de fleur en main,

je veille en murmurant des phrases tombées des nuages...

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Une armure d'acier bleu m'emprisonne depuis des lustres.

Articulé comme un crabe, j'explore ma caverne d'ermite.

D'un œil pédonculé, je scrute les écrits suspicieux et nuls

des penseurs prétendument « modernes » et parfois j'en ris,

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du bonheur de constater à quel point certains sont doués

pour se payer de mots en faux billets qui éblouissent le vulgaire.









 





Brindille

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Kladi, en grec «brindille», en anglais twig qui signifie aussi comprendre, zweigchen en allemand, kviste  en danois, prysgwydd  en gallois, mlází en slovaque, sly  en suédois, en hongrois  gally –ô métamorphoses d'une idée !

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Ces mots-là, choisis parce qu'ils sont brefs, parce que leur sonorité me fait rêver, comme mladý  en slovène, à une lettre près, qui évoque jeunesse et printemps, m'emportent facilement vers des régions du nord avec hivers aux arbres transparents...

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Pourquoi les préféré-je à maleza en espagnol, à macchia en italien, à matagalen portugai, à broundiho en provençal, à branquilló en catalan, pourtant vocables des pays du sud, qui me sont mentalement proches, moi qui ai vu le jour à quelques coups d'ailes de la grande bleue ?

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On dirait que dans notre tête, pour de mystérieuses raisons, certains mots par leur signifiant présentent une meilleure adéquation à l'image secrète qui traîne dans un coin de l'inconscient, que d'autres. Et qu'il y a quelque relation avec des événements cachés dans certaines circonvolutions oubliées de nos jeunes années...

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Brindille, brindille, ô flexible minceur qui t'empares de l'espace et prépares la mêlée entre ciel et frondaisons, ramille propice à la prise des petites menottes des oiseaux, toi que fréquentent les nuages et qu'habillent en avril de verts foisonnements,

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toi que brisent et raboutent les reflets sur la nappe du ruisseau, toi qui ploies sous les moindres brises et t'agites constamment, qui dessines à mes yeux l'infinie ramification où, tel un écureuil dans les ronces, se prend le sens évasif des choses, - je te prononce : et que tes syllabes chantent !





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Gratitude

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Fugace beauté au regard surmonté des antennes d'un papillon de nuit, je sais que tiède tu saurais m'offrir, malgré l'ombre épaisse, fureurs et gloire, patience et tendresse, impitoyable intimité.

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J'aime l'idée que de mon corps mourant, tige et fleurs, la poussière soit terreau apte à nourrir tes pensées, ainsi qu'il t'arrive parfois de le prétendre aux instant d'aveux et de hontes délicieuses.

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Que ma cendre soit promise aux fleurs ainsi que ta lèvre aux baisers, telle est notre évidence. On devra m'excuser de ne pas revenir, n'étant jamais complètement parti.

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Que je veille grâce à toi sur les tours du silence, parmi les cercles des amples charognards ailés, tant que le soleil consume mes os jusqu'à l'âme : un sort intemporel que je chéris.

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Ô toi foudre et rafale, embrun aimant, qui me fuis et me poursuis, ombre et flamme de chair, à moi plus souvent donnée qu'à tous, cependant jamais possédée, qu'une poignée de mot convoque ou dissipe !



 

 





Érotique nature

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À force d’avoir fréquenté le souvenir de Zeus, je me suis mis en tête d’apprivoiser l’Éclair !

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Me rêvant en aigle de roche, d’un œil de cristal j’ai embrassé les plaines, frisées de forêts pubescentes.

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Irrésistible, l’amour de cette Terre ! Les timidités rougissantes des aurores, le jais embaumé de la chevelure des nuits, piquetée de gemmes, le sein des collines qui bombe sous le sweet-shirt moulant des prairies…

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Voici descendre d’entre les vignes, son bras frais au flanc du panier qu’elle tient sur l’épaule, la vendangeuse en robe légère. Croque la grappe qu’en passant elle t’offrira !

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C’est elle dont le corps flexcitant, dans l’ombre du mazet, ce soir concentrera pour toi tout le désir des voluptés de ce monde.









 

Bouts de papier remâchés

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Bavard comme la plus haute pierre, celle que la bise aurait élue, d'un éperon qui porte tout l'azur de l'été, il avait trouvé le moyen de confier ses paroles au silence...

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Graffitis en lettre hâtives, sur la chaux des murs nourris de soleil, aux recoins les plus reculés des jardins, ses sentences rimées survivront-elles à la saison des pluies ?

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Rendez-vous près du pin oblique et suicidaire que retient la falaise : à force de contempler avec lui l'immensité du pelage marin aux crinières effilochées nous deviendrons peut-être des copins ?

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Il avait toujours cru que les plantes pensaient à leur façon, plus lentement que les animaux certes, à fortiori que les humains, mais qu'elles le cachaient aux autres vivants comme le roseau cache sa voix jusqu'à ce qu'on en fasse une kéna !

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Jouissance infinie de changer en chansons ce qui jusqu'alors, eût dit Joe Bousquet, « n'avait droit qu'au silence » !La mélodie de la source est un babil enfantin à traduire, à réinventer constamment à l'instar – paraît-il – de l'amour.

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Sympathie infinie envers l'écureuil qui stocke ses trouvailles un peu partout, puis oublie vivement ses réserves et repart d'un cœur accéléré en accumuler d'autres, aussi croquantes, aussi enfermées, aussi succulentes.

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Un jour, un enfant eut la mémoire traumatisée par un parfum associé à un nom : giroflée. Un formidable sentiment de liberté avait gonflé ses poumons. Avec le nom de lavandin, cela suffisait à

ce qu'un couple d'invisibles fleurs-fées, n'importe quand, ressuscite infailliblement son pays natal.

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Écrire, non pour habiter le mythe, non pour quelque absurde prestige, mais pour que la lumière de ta langue compense la grisaille de l'hiver, en réveillant cette sorte de mélanine optimisante qui se répand avec l'encre.

 

 

 

 

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Six considérations énigmatiques

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L'art depuis toujours cherche à mordre dans quelque chose de réel. La science de même. Le langage, son essentialisation en mathématiques, la pensée en général, ripent sur l'insensé.

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La parole n'est capable de régner que sur ce qu'elle a déjà désigné et mis en ordre. Ce qu'elle a institué. Autrement dit ce qui n'a de sens qu'en conséquence de l'esprit humain.

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Ô lois, précieuses lois, sans cesse à la dérive, carènes vite avariées, progressivement envahies par le non-sens, vous finissez par sombrer dans l'abîme chaotique dont vous fûtes tirées à grand'peine.

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Les poèmes, comme gants enfilés successivement aux mille mains invisibles de l'univers, et qui ne sont jamais à la bonne taille ! Quelle maladresse à saisir quand l'outil voudrait donner forme à la main qui l'a forgé !

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Selon l'angle et la lumière, toute formulation d'une pensée peut apparaître grotesque et disproportionnée jusqu'au ridicule, ainsi que l'ombre d'une amphore distendue sur le mur de la terrasse par le soleil couchant .

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Si tu ne mets pas ton cœur, ton humeur, ta bienveillance dans les phrases, les vers, les images que je te propose, ne me lis pas. Aller croquer un sandwich te sera plus profitable.

 

 

 

 

 

 

 

 

Tandis que s'élève le croissant de lune...

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Tout se passe-t-il en silence près de cet arbre solitaire, sur le plateau herbu d'où l'on aperçoit au-dessus des contreforts bleus la neige dorée des hauts sommets, naufrageant dans les brumes roses et bleues de quelque crépuscule ?

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L'animal au doux museau qui broute l'esparcet constellé de fleurs, à quoi songe-t-il tête levée, en ruminant une minute, les yeux tournés vers la maison lointaine d'une autre colline, et sa façade encore éclairée alors que les bosquets s'éteignent un à un ?...

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Les flaques violettes des muscaris sauvages commencent à se répandre, complices de la fraîche nuit qui endiamante l'orient. Un daim en un éclair traverse le sentier, disparaît derrière un repli buissonneux, une laie noire et cinq marcassins suivent, le diable aux trousses.

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Sous peu, nous reprendrons la descente tracée par les sabots à travers le pacage, quitterons le col pour laisser à notre place venir brouter de grandes bêtes de brouillard, rejoindrons l'étable éclairée d'un lumignon jaunâtre à la façon d'un choeur d'église.

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Ce sera l'heure de la traite, le vacarme des bidons, les cris des garçons de ferme en train d'ajuster la trayeuse, le ronron de chat des moteurs électriques. Enfin, fourrage dans les râteliers, litières neuves, lumière éteinte en partant. Mutisme et grands respirs des herbivores.

 

Viendra, fourbu, le moment de l'épaisse table, la soupe à l'oseille, le vin sanglant, le pain et fromage croûteux, la gloire d'être ensemble... Et le lit aux rêches draps de lin dans lequel on tombe, épuisé par la réalité avant l'oubli d'un sommeil que ne marqueront pas les rêves.

 

 

 

 

 

 

Fragile rouge-gorge

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Desserre les mâchoires de l'angoisse, cette hyène. Indifférence envers l'ossuaire, simple bonheur des myosotis entre les dalles, peut-être un couteau rouge dans l'herbe. Lavée à la fontaine, sa lame redeviendra pure et reflétera l'éclat du jour.

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Tes colères sont vaines. Tes compagnons aiment côtoyer l'abîme. Ils regardent ainsi de haut les vies tranquilles des villages, au fond de la vallée. Elles seules pourtant sont justes.

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Ta poésie reste au niveau de la mer. Là seulement elle peut de sa nacre enrober les grains de silex ennemis du marcheur.

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L'amitié aide. La pitié avilit. Si l'on parle de solidarité, c'est que, viciée, elle disparaît. Les mots désignent le manque.

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Flonflons cuivrés des sentiments vulgaires, touchants comme un orphéon du dimanche au kiosque qu'environnent les enfants des badauds en suçant des glaces.

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N'engluez pas le poète dans la mélasse des malheurs que vous avez provoqués !

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Comme je t'envie, fragile rouge-gorge silencieux sous la haie, mais auquel l'aurore emprunte l'inflammation duveteuse de sa poitrine.

 

 

 

 

 

 

Paramètres

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Qu'il est difficile de vivre réfractaire à la molle sentimentalité des automnes sanguinolents ! La loi des sondages frissonne au milieu des simples, les dupe et les manipule.

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Une ère de télévision, pour chacun devenu hypermétrope, qui ne s'émerveille même plus de reconnaître un univers dans un regard juvénile ! Plaines accablées de rosée dès la première heure.

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Le trône le plus impérieux, le plus élevé, tremble ainsi qu'un volcan qui tousse !

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Les choix des hommes, la fonte des pôles, les mers qui s'élèvent, - de plus en plus inanimées.

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Apporte-moi tes chants, laisse de côté la lyre aux cordes cassées. Cueille tes étoiles murmurantes.

Chacun t'ouvrira le nid d'une âme inconnue.

 

 

 

 

 

 

Carrément la vérité !

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Ces phrases auxquelles tout échappe avec la fluidité du sable, ces phrases sont des secondes, des minutes, des heures, de plus en plus fugaces, de plus en plus évanescentes, leur substance insidieusement se défait à l'instar de la tienne, de la peau qui devient translucide sur le dos de ta main, de la hâte de ton cœur aux battements de plus en plus désordonnés...

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Insolite sensation que celle d'éprouver la lente ruine du corps qui se défait, qui se défait plus vite que les acropoles, plus vite que les arbres, insolite sentiment sur la hauteur sombre où le corps nomade a trouvé son antre, que celui d'affronter le regard des blanches étoiles , les spirales laiteuses qui faisaient rêver Guillaume le mal-aimé.

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Pulvérulence au vent ! Tourbillonne, vole, sois la feuille sur laquelle s'envolent les rêves !

L'Homme écrase et piétine le sentier de ses jours sans guère laisser de traces ; les bruits des sources, ceux de l'air qui siffle dans les branches, toutes ces choses banales prennent un relief particulier à présent, recèlent en une langue mystérieuse des injonctions à traduire.

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Édifions, façonnons le vrai ! Que ce qui de notre descendance est jeune reçoive feu et flambeau ! Frappons l'âme de la cité avec la violence du ciel bleu, avec la pureté d'une hache de cristal, avec, a dit le Poète, « l'énergie du désespoir ». Passez, chansons ! Fuyez, torrents que rien n'arrête ! Et toi, l'écrivaillon, encore un peu de patience. La délivrance est proche.

 

 

 

 

 

 

 

Impuissante parole !

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Cueillir l'infime, comme violettes presque imperceptibles, à l'ombre du hallier... Se remettre devant les yeux le visage d'un ami, tenter d'en retrouver l'expression derrière le fouillis des rides du dernier temps... Avec l'extrême dénuement des mots tourner autour d'un pot de terre, humble relique d'un ancien voyage, en renifler l'ocre avec la lumière, chercher la face qui se souvient le mieux du brasier enterré en lequel elle a durci...

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En ai-je connu des lieux primitifs de cette sorte ! Les fours de Boujad, avec les premiers reliefs enneigés de l'Atlas. Il y avait à saisir là cet étrange sentiment de l'ombre des hauts fuseaux de peupliers allongée par le couchant jusqu'aux stocks d'argile bleue. L'odeur des fumées translucides qui serpentaient entre les huttes de pisé. Le grattement d'un coq scabieux dans la poussière et le faible jappement d'un chien dans la distance...

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Quelle illusion, que de croire partageables ces après-midi de Vernazza, la tiédeur de l'été, vieille de cinq lustres, qui descend à travers l'air bleu, la végétation et les maisons en cascade jusqu'à la méditerranée... Et ces moments où, dans l'odeur du bitume, les couvreurs coupaient à la cisaille dans les rouleaux de plomb qu'ils soudaient pour étanchéifier la terrasse, tout autour de l'appartement où vivaient grand-père et grand'mère.

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On en parlerait durant des siècles sans que rien ne puisse revenir de ce frottement sacré de la paume contre la colonne du temple de Zeus à Olympie, de ce gluement froid des truites arc-en-ciel que tu serrais vivement dans les torrents de montagne, et qui parfois, malgré tout, t'échappaient en ondulant et disparaissaient sous d'étroits trous de roches à la faveur d'éblouissants reflets tombés d'entre les hêtres, ajoutons à cela les caresses à tes mollets

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des hautes herbes, graminées, fétuque, pain d'oiseau, douces comme le frôlement d'un chat... ou le goût sucré des capsules roses du sainfoin, ou l'amertume aux lèvres des tiges de pissenlits que nous fendions pour les faire couiner comme des anches... Tout serait prétexte à réveiller les ébranlements des nerfs à travers lesquels se transmettrait la beauté du monde, si l'art des mots était plus riche, plus sensuel : en ses sonorités, mieux imprégné de réel.

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Passé recomposé

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Repense à l'ancienne maison avec la cheminée ;

pendant que tu ratures sans fin des pages frénétiques

accroupie à droite, la chatte noire fixe l'invisible

d'un regard fendu où veille l'or d'une placide attente...

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Un soleil sème son pollen dans les branches du mimosa,

dans celles du citronnier ses œufs sont déjà de bonne taille.

Velus les pavots défleuris balancent leur cœur vert gonflé

de graines impatientes. Le long du mur des tournesols sèchent.

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Jacinthes au parfum entêtant. L'ombre qui apparaît au fond

du jardin a la silhouette et la démarche frêle de ma mère.

De même la mémoire hésite, raboute des fragments de puzzle

que le timbre d'une voix intérieure rassemble à grand'peine.

 

 

 

 

 

 

 

Un ou mille

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Comme est bizarre cette quête insistante chez les humains :

que la diversité se change en unité, l'unité en diversité,

qu'on feigne de ne pas voir ce qui différencie et qu'on

revendique en même temps le droit de l'individu à une

irréductible singularité ! Être tous égaux sans être identiques,

quelle ambition ridicule ! Nul exactement dans l'espace-temps

jamais ne partage la place, ni le point de vue de son voisin !

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Jeune homme qui lis les mémoires d'un vieillard, cette relation

d'une enfance, qu'a-t-elle en commun avec la tienne, excepté

que tout y est différent ? Tu crois te reconnaître dans les mots

d'un poète, qui te leurrent en te tendant leur miroir de papier !

Mais les poèmes ne sont que nids attendant leur coucou...

Ou peut-être coucous prêts à squatter une oreille favorable !

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Et celui-là, qui écrit en espérant demain être reconnu par tous,

que cherche-t-il si ce n'est avec âme à cueillir au fond de soi

son âme singulière, à l'instar du soleil qui descend moissonner

du soleil emmailloté comme mille pharaons dans les blés ?

 

 

 

 

 

Instable...

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Qu'y a-t-il ? Il y a le regret de n'être qu'un médiocre

manipulateur de mots face à cette sorte d'Yggdrasil,

tel que j'imagine dans ma tête le frêne du langage !

Devant l'énorme tronc ridé, on se sent fourmi

confrontée à la patte d'un éléphant ! Les millénaires

l'ont enrichi cercle après cercle, comme on voit

s'élargir l'onde successive à la suite du caillou jeté

dans l'étang... Et le monde tremble en s'y reflétant !

 

 

 

 

 

 

Huit lignes d'un rêve vaguement absurde

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Être réduit à une simple profusion de signes précieux tel un pharaon au masque d'or emballé dans les prières et le lapis-lazuli qui sous terre dort du sommeil des millions d'années

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Et qu'un jour peut-être un savant, un enfant, un farfouilleur curieux découvrira par hasard en ouvrant la porte du tombeau sans s'effrayer de la fraîcheur de cave qui lui saute au visage

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Voilà qui me paraît un noble rêve en cette existence en butte aux abominations permanentes d'un univers cruel, amoral, troublé qui ne connaît d'amour que mensonger

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Sur les parois de ma nuit se déploierait une campagne paisible oiseaux prenant leur essor d'entre les roseaux gamins qui jouent tandis qu'un laboureur pique ses bœufs tachetés

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Ailleurs les faucilles tranchent des poignées d'épis des chasseurs à grands pas sont parmi les iris mauves et les lis blancs qui parfument les nuages figés dans leur geste de flécher buffles et félins

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Comme le pêcheur dont l'épervier transparent reste corolle en suspens à mi-chemin de la surface frissonnante de l'étang que percent les têtes facétieuses de poissons moustachus

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Ô la solitude enveloppée d'images ! Ô l'immense silence où ne se propagent que des son purs et inaudibles là où résonnent les échos criards, les feulements de la haine ou des victimes d'Éros

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dans la Réalité affreuse de la vie qui n'a pour se perpétuer qu'entredévoration carnage illimité embrochements amoureux sperme noir violence arrachements bombes fer et feu.

 

 

 

 

Fantasmagorie

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Appuyé sur le mot balustrade aux interstices parallèles

j'observe, en bas, le bal avec nostalgie... Ô lustres,

ô strades ! À fond l'auto fonce vers Rome, la ville

de tous les chemins ! Nuits étoilées place d'Espagne.

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Voici la fontana di Trevi en laquelle une star se baigne

les seins presque nus Laiteuse écume et rideau de blancheurs

Ô les bourrasques tièdes de l'été Ô les fraîches arcades

sous lesquelles on croise parfois Flora la belle romaine !

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Nous irons visiter les prisons mystérieuses du Piranèse,

les hypogées aux autels froids et parois constellées d'Ictus

Sur les ruines du Colisée nous irons cueillir les fleurs du vent

Nous irons nous allonger sur l'herbe du verger, villa Borghese

 

Et je verrai comme Nerval aux citrons s'imprimer tes dents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tableau d'Alpage

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Assis sur son trépied usé qu'ornent les cercles concentriques

du tronc qu'on a scié pour en faire un tabouret

le paysan à belle tête se recueille dans l'étable

au milieu du silence respirant et soufflant des bêtes

.

Dehors la lucarne empoussiérée de toiles d'araignées

montre les premières rougeurs et le coq bientôt chanterait

debout sur le fumier noir au remugle puissant

pour autant que l'image ne soit pas enfermée dans un cadre

.

Une vache la queue en l'air laisse filer de vertes bouses

successives Buées et senteurs qui rebutent les gens des villes

Tout à l'heure le troupeau placide s'en ira au pré bleu

La buse criera tandis qu'on entendra le ffrt ffrt des incisives

.

qui coupent l'herbe rassemblée par les longues langues roses

des museaux reniflants et humides - sans que l'oeil égyptien

aux cils dignes de la Belle de Cadix cesse de surveiller

les environs en mesurant le niveau de l'ombre qui baisse

.

au flanc du mont ainsi qu'une mer intangible se retire

devant l'irrésistible clarté invasive du jour qui azure

les neiges éternelles au-dessus de la frontière obscure

des sapins et réveille au clocher des essaims de choucas

.

Ils tournoient comme les notes d'une partition oubliée

Un souvenir de saint depuis son vitrail nous toise l'air hautain

au-dessus de l'autel décoré de cierges et de roses dédorées

Et celui d'une brune aux lèvres plissées nous attend près du château.

.

 

 

 

.

 

 

Androgyne

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J'ai toujours pensé que j'étais né de ta lumière

et je voulais te traverser des beautés de ta vie

t'éperonner comme ferait un aigle de cristal

du vaste éblouissement d'une foudre inconnue

.

Le feu sous la neige prémonitoire à tes rêves

jouerait d'esquive et de désir dont une aube

serait l'extrême proue incandescente ornée

d'un unicorne blanc comme aux récits d'enfance

.

Au plus noir de ta gracieuse gloire – demi-sourire

et nudité – j'ai cherché ma mémoire et qui j'étais

Toi chair de vif-argent auquel j'amalgamais mon or

comme au balancement des vagues s'unit le soleil !

 

 

 

 

 

Anniversaire

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Vous reverrai-je un jour

peut-être dans une autre vie

m'amour qui fûtes m'amie ?

.

Une pierre au fond du lac

le chagrin qui vide son sac

et laisse dans l'air un parfum

de rouge-à-lèvres que n'ont pas

éventé les défuntes années

.

J'entends votre voix encore

qui la nuit cligne là-haut

ange parmi les anges d'or

.

Jadis nous avons ensemble

erré aux forêts de novembre

C'était hier à ce qu'il m'en semble...

 

 

 

 

 

 

 

 

Non credimus

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Ce sont jours d'errantes beautés telles les fuites bleues

des plaines du sommeil qu'ombrent par moments

des passes de nuages beiges que croquent à l'ouest

quelques dents de granit gris Ce sont jours solitaires

.

Promenades bourrelées de remords comme si tu étais

coupable de quelque crime de vaurien - moustaches

du chat tirées - poignées de plumes arrachées au coq

- pierre lancée à un chien errant qui glapit en s'enfuyant

.

Vers le soleil qui grimpe dans les vignes jaunes du coteau

une jeune femme s'éloigne sans se retourner Bras clairs

cou frisé de fraîcheur échappée à son chignon de reine

Son coeur a sans doute sur sa route croisé l'Impossible

.

Pauvres humains qui regardent dans le désert la mer

de l'amour et croient qu'elle n'est qu'à quelque pas

et qu'il serait facile de s'aimer comme si l'on pouvait

se baigner dans le tremblement lumineux du mirage

.

Mais non La splendeur est insaisissable et recule

à mesure de notre avance de misérables lémuriens

aux yeux hypnotisés Elle ne lâche rien Les douces,

les aimantes paroles sont un baume taillé dans la brise !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'ignorante

.

Que sais-tu, pauvre belle enfant, de ce que nous fûmes,

que sais-tu de ce champ de boutons d'or qu'on appelle

« ciel » à minuit, que sais-tu de la couleur du fil qui leur

lia, dans des temps très anciens, nos existences, nos destins ?

.

Que sais-tu de l'amour toi qui toujours te figures avoir aimé ?

Que sais-tu de son très doux bouleversement, pareil à un

glissement de terrain pourpre miné par les pluies battantes

d'un déluge qui rend soudain l'univers à son chaos primordial ?

.

Que pourrais-tu savoir, avec ces yeux candides qui ont si peu

vu, avec ces oreilles roses roulées comme des coquillages

qui ont si peu ouï, si peu compris des milliards de messages

que du plus loin de terres exotiques te rapportait la mer ?

.

Une herbe triste et folle s'agite au long de la rue, comme si

le désert me faisait signe, murs lépreux compissés des chiens,

comme si la vie poussait dans les fentes malgré le pavé,

comme si pouvait m'être restitué le droit à un brin de verdeur !

 

 

 

 

 

Pour ne rien dire

.

Quelques petits riens, l'indigence, quelques couplets vagues

assortis d'un duvet d'écume irisé, cela devrait suffire.

.

Inutile qu'un mistral à desceller les stèles tire sur le paysage

sa magnifique tente bleue à l'odeur saumâtre, en faisant

.

claquer les flammes et ronfler les drisses, pataras, bastaques molles

des voiliers amarrés aux anneaux de bronze du quai.

.

Inutile qu'un vieillard hâve au front encapuchonné d'ombre

vous prenne par la main dans le labyrinthe de l'ossuaire.

.

Tout ce qu'il y eut de grave et de pesant bombe au filet du langage,

leste nos pensées ainsi que poiscaille, la bolinche du sardinier.

.

L'amour, l'amitié, l'espoir, le désir, mille émotions brillent

dans nos yeux et maillent au cœur des abysses de l'âme.

.

On voudrait les graver en quelques lignes éternelles sur le vent,

les dessiner sur la blancheur d'un nuage, - mais impossible !

 

 

.

 

 

 

 

 

J'ennuie ma muse

 

.

Le pêcheur au crépuscule du matin

tire sur ses filets lestés de vif-argent...

Au sommet de son mât un fanal brille encore

pour immensifier l'étendue sombre de la Méditerranée...

Chemins dépolis des risées. La crique aux micocouliers

et aux faux-poivriers cache une fraîche rivière.

(C'est là qu'elle s'évase entre les vagues et se fond

dans l'azur, lorsque l'été venu résonnent les rires

des jeunes filles chevauchant des crocodiles

et des dauphins gonflables ! Musique sur le sable

près d'un gisant encadré de sa serviette à rayures.)

.

Si loin dans le passé, l'été dernier, ses réflexions

d'enfant sérieux, la boule blanche en haut du pic,

au-dessus des carrés d'oliviers crépus...

Les soleil défilaient aux mâts des bateaux à l'ancre

ainsi que girouettes en papier multicolores

un jour de kermesse scolaire...

.

Torrent des jours, phosphorescents rapides

au cours desquels mon canoë à tout instant risque

de chavirer dans un renversement de mousse ensoleillée,

quel agrément de passer au travers de mes vieux visages

déjà érodés de sillons qui attestent que plusieurs lustres

de dures larmes ont disparu, comme grêle en fondant laisse

à la fenêtre un paysage aux vitres brisées ?

.

Seul à seule, avec ce qu'il reste de mon étoile je converse

poliment, jusqu'à ce qu'au creux de mon esquif, gardant

un demi-sourire enfantin elle se soit endormie :

je ne suis plus pour elle qu'un radoteur ennuyeux,

alors qu'elle, douée de jouvence perpétuelle,

dort innocemment malgré les heurts et les écueils.

 

 

 

 

 

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