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1 février 2009 7 01 /02 /février /2009 12:17


                          Transport en commun


A ma droite un homme coiffé d'un Stetson brun foncé

lit, de Maurice Genevoix, un roman dont la couverture

rouge est titrée « Lorelei » : « Britte a dû accrocher

son talon dans l'élan d'une fuite éperdue... » Je vais

devoir lire ce livre afin de savoir ce que cette femme,

que j'imagine aussitôt jeune et jolie, fuyait. L'avantage

des écrits est que leur monde échappe au temps !

Ils sont comme des bulles de savon, légères, dont

chacune recèle son décor, ses drames, ses amants,

à l'instar des tableaux fascinants de Jérôme Bosch :

tout n'y est que rêve et illusion, mais indéfiniment

accessible. O premières pages irisées, portes vers

l'Ailleurs, psychés pénétrables à volonté : « Un rêve,

décidément un rêve, dur et flou, insaisissable,

obsédant. - Entre, Gunther. » Qui est Gunther ?


C'est décidé. J'entrerai du pied droit dans la première

librairie venue et j'y réclamerai ce « Lorelei » qui me

renvoie au temps lointain où je me laissais envoûter

par les touchants poèmes de Guillaume Apollinaire...

O nos âmes anciennes ! Dans mes mains j'enserrais

tes poignets frêles ; et les tiennes vers mon visage

s'ouvraient comme des étoiles. L'automne errait

par la forêt. Avec la voix du vent, il insistait et insistait

jusqu'à ce que chaque arbre ait, cuivre rouge ou or,

consenti à verser son obole. Au-dessus de la brume,

un pivert acharné clouait on ne sait quoi. Nous avancions

entre les troncs silencieux comme en un cimetière.

Ta silhouette mince et pâle se détache à l'horizon laiteux

exactement comme elle était du temps où le chien noir,

en jappant, te courait derrière. Au miroir de l'étang

blanc apparaît toujours la même face déformante.

Une grande aile bleue y a sombré jadis et y verdit

au pied des roseaux noirs, parmi les débris et la vase.


On entend derrière un buisson gémir un très vieil ange,

à la bouche par sa chute fracassée. Au matin, un reste

de son sang brûle encore sur les crêtes, à l'endroit

où les neiges éternelles, avec les corps intacts

des alpinistes disparus, conservent nos jeunes années.

O tristesse des amours confrontées au souvenir

de leur fin ! O dans ton regard cette expression

d'enfant apeurée ! Je tenais tes poignets dans mes mains.

Elles s'ouvraient,

                        désespérées et vides,

                                                    comme des étoiles.

Sur la plage, la mer ramène la barque esquintée

du pêcheur disparu. La tempête a bouleversé

la ligne du rivage... Noirs ou blancs, des oiseaux

tous orientés le bec au vent, crient, crient leurs cris

criards, hochant la tête périodiquement, comme

des automates dont le désespoir, en cape

d'invisibilité viendrait en douce remonter la clef.


O tristesse des grands oiseaux quand le soleil

commence à décliner ! Odeur de bois brûlé.

Chuchotis des pas de la solitude qui s'éloigne,

la tête penchée, au long du littoral, cherchant

l'endroit précis au-delà duquel insensiblement

s'effacent la splendeur des choses, et nos souvenirs.




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commentaires

A
que dire de plus<br /> quand tout se finit<br /> la poésie peut être
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