Transfiguration
Pétrifié au fond d'une incommensurable nuit
le malade, en écoutant le vent qui passe,
le vent qui froisse, rêve de course et de danse...
Et même s'il n'est plus d'espoir, il espère
envers et contre tout : les miracles, fussent-ils
misérables, ça c'est déjà vu – au coeur de l'infini
turbulent ! Parfois le papillon qui tourne autour
du phare éblouissant qu'est une simple lampe
survit. Chose étrange, ce sursis indéfini :
toute une perspective à revoir, toute une vie,
toute une ville à revoir... La compagnie du vent
qui nous reprend ; son immensité respirable,
la dictée de sa mélopée lointaine, avec écho
d'encens et relents de plain-chant. Ainsi
l'Axion esti du poème qui s'élance prodigieux
comme une nef de cathédrale ! Et du haut
des flèches chantournées, le maître maçon
dans les airs échafaudé contemple l'étoile
de la cité, avec orgueil et incrédulité : d'une telle
altitude, l'architecte serait donc l'Homme ?
Ce serait l'une d'entre ces fourmis bipèdes,
arpentant l'abîme, et dont au couchant l'ombre
s'allonge démesurément à travers la place dallée ?
Ou cette autre, quelconque, qui va ou vient
d'un pas fébrile, à contre-courant de tous,
sans que l'on sache vers où, ni pourquoi ? Seul
le langage, porte ouverte vers l'Ailleurs à l'instar
du torii d'un temple japonais, seul le langage
sait entrevoir quelque chose de l'avenir !
Par la fente de l'horizon, entre terre et ciel,
chaque vers témoigne en secret d'un plus pur
azur ; il est ce regard trop curieux d'enfant
qui lorgne des facettes de la beauté lumineuse
entrevue par un trou de serrure, et tremble
de désir pour cette nudité de diamant solitaire...
Il est cette voix de l'aimée qui, prononçant
une phrase anodine, a pris le ton de qui consent,
et soudain notre coeur guéri s'élance, flamboyant
comme une fusée, vers les étoiles. Et le malade
en écoutant le vent qui passe, le vent qui froisse,
se sent brusquement délesté de sa langueur
mortelle. De la fenêtre un azur inconnu descend
rafraîchi par l'agitation d'innombrables ailes d'anges
transparents, qui s'affairent au rapt d'une âme
prisonnière de son corps inerte et souffrant, afin
de l'emporter d'un coup au-delà du septième ciel !
De là-haut, tel ce maître maçon qui contemple
le maillage étoilé de la cité terrestre, l'artisan
du poème avale une exquise goulée de liberté
puis replonge parmi les ombres quotidiennes.