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16 novembre 2007 5 16 /11 /novembre /2007 00:34
  Perspective Nevski

Naguère, le fait d'être un enfant – même
un vieil enfant ! - te laissait encore assez de temps
avant la Fin pour penser, comme tous les enfants,
que « la situation pourrait s'améliorer » ; que
tu avais devant toi assez de temps pour y bâtir
au moins un projet, un espoir : beau comme la
fameuse « perspective Newski » par un soir
d'hiver, quand le soleil se couche à une extrémité
en lustrant le toit gris du palais Stroganov, la façade
rose du palais de famille des Bieloselski-Bielozerski,
et que la nuit étoilée se lève de l'autre, derrière
les clochers d'or de l'église St Nicolas des Marins,
avec les reflets des bâtiments illuminés qui ondulent
et se mélangent constamment au fond de la Néva.
Assez de temps pour lire des bandes dessinées,
jardiner, aller au spectacle ou dans des soirées
littéraires, jouer avec tes petits-neveux à ces
jeux-vidéo dont ils sont si friands. C'était naguère.
Cet automne, toute perspective a disparu (les passereaux
du jardin aussi) excepté celle, à terme, de préparer
- Mais comment ? Qui le sait ? - ta propre disparition !










Maternité

Hier, rêvant dans la rue, inconsciemment j'observais
une jeune mère, grands yeux turquoise, cheveux blonds
tirés, offrant un visage harmonieux, carré, solide,
nordique en somme ; et son enfant, non moins nordique
et blond, avec une tête massive et une expression
assez ingrate dans ses yeux bleu foncé, étroits,
plissés comme ceux d'un vieil éléphant. Or, la mère
admirait son enfant, le cajolait, le couvait du regard
comme s'il se fût agi de la huitième merveille du monde.
Objectivement pourtant, l'enfant – deux-trois mois
au plus – était laid. Je lui trouvais cette expression
déplaisante que peuvent avoir les bébés et qui
anticipe celle que l'on découvrira sur leur visage
de méchants vieillards, une vie plus tard ! Mais
l'expression de la mère, ses gestes de tendresse,
sa façon délicate de tenir l'enfant dans ses bras,
tout donnait à ce tableau une sorte de grâce
intime – telle que les passants faisaient un détour
avec respect, comme on contournerait une bulle
sacrée de paradis. Et je me suis dit que nous devions,
plus ou moins, ressembler à ça, ma mère et moi,
lorsque nous circulions dans la montagne incendiée,
au milieu des soldats, près du fort de Briançon,
alors que la bataille faisait rage et que les avions
terribles vrombissaient au-dessus de nous en lâchant
leurs explosions incessantes : le paradis à côté
de l'enfer... J'ose seulement croire que moi - d'ailleurs
des photos existent - j'étais nettement plus beau !












Bleu pastel


Mon coeur, disait-il, est bien loin
dans l'espace et le temps. Tantôt,
en fictions d'avenir mes rêveries
s'égarent; tantôt en des années


qui furent de douceur, il y a
bien longtemps ! Si l'avenir n'est pas
- du moins tel qu'il s'annonce -
un tissu de projets enchanteurs,


le passé, le cher passé, quoique privé
du droit de faire des promesses,
ressemble à un compagnon sûr, face
aux séductions d'un fruit vert !


Certes, les tristes souvenirs sont plus
nombreux que les anciens bonheurs...
Même sur les chagrins pourtant,
l'émotion du passé jette une lueur


un peu grise, un peu douce ; elle arrondit
les angles de la vérité par l'agrément
du : «J'étais jeune en ce temps-là !»
Oh la jeunesse, oh la magie des autrefois !


Comme ces monts qu'on voit s'enfuir là-bas
et qui, davantage à chaque tour de roue,
par la force subtile de l'éloignement
prennent la couleur bleu-pastel du Paradis.













   B. C.

C'était un gentil garçon, un chanteur qui avait réussi
à faire son trou ; juste un peu drogué ; à peine alcoolique.
Le parfait romantique moderne, quoi ! Cheveux en bataille,
l'oeil noir, visage taillé à la serpe : l'air canaille et des


chansons sulfureuses, mais si «bouleversantes de vérité»,
comme disait Sylvie X dans son blog, «quand il était sur
scène !» Bref, un garçon charmant... - la douceur même !
Toutes ses «fans» féminines le regardaient, le regardent


encore avec les yeux de Chimène. Normal, c'est chouette
de sentir le frisson amoureux lorsqu'on frôle une gloire
télévisée et que, de plus, sous ses dehors un peu brute,
et ses blousons de cuir, on sait que le voyou n'est pas


dangereux. D'ailleurs les juges sont d'accord. Il n'est pas
un récidiviste. On ne risque rien sur ce point. Il n'a tué
qu'une fois l'une de ses amantes, en la tabassant à mort
sans le savoir parce qu'elle avait le culot de lui répliquer ;


ce genre d'accident, ça peut arriver à tout le monde ; sa
«reconversion ne pose aucun problème, disent les Majors,
puisqu'il est devenu plus célèbre que jamais...» Bref,
la vie d'une femme, chez nous, pays de France, ça vaut


quatre ans de prison. «C'est énorme», me disait un ami
qui revenait d'Oman. «Mon vieux, dans les deux tiers
des pays du monde, on n'aurait même pas pris la peine
de déclencher un procès !» Ouais. Ici, on est civilisé.







             Femmes d'aujourd'hui !





Sur quelque papier minuscule en métro je griffonne

des poèmes... Face à moi une femme de style nord-

africain, assez jeune, décolorée, m'observe l'oeil

humide puis consulte son téléphone pour vérifier

que personne n'y a laissé de message ;

étrange comme l'obsession de se communiquer des

choses proprement insignifiantes a pris le pas

sur tous les autres mouvements de la pensée !

Maintenant, voici que son « portable »a sonné...

Du coup la jeune personne entre en conversation

publique copines et shopping elle sourit au

vide et le sourire rend presque plaisant son visage

jusqu'alors renfrogné et gros de rebuffades potentielles

C'est que de nos jours, à la fois les femmes voudraient

qu'on s'intéresse à elles qu'on les considère comme

au centre de la société mais refusent aussi qu'on

leur porte attention dans les moments où elle ne sont pas

disposées, mettons, et le jeu

se complique même du fait qu'elle feignent constamment

l'indifférence voire l'irritation à l'égard de ceux qui

les intéressent, elles, afin de vérifier, à ce qu'elle disent,

«la sincérité de leurs sentiments».

Pour les hommes, elles veulent de «vrais mecs» oui

à condition qu'ils soient soumis et obéissants comme ces

petits bichons dans leurs bras qu'elles transportent

pour tromper leur envie d'enfant et qu'elle remettent

d'une tape sur la truffe à leur place lorsqu'ils

manifestent des velléités d'autonomie.

Si bien que les garçons ainsi traités finissent par se retirer

entre eux dans un univers de sentiments plus simples

et de jeux sportifs ; certains se préfèrent homosexuels

les plus déboussolés tournent au pédophile...

Quel que soit l'angle sous lequel on l'examine la société

où nous vivons est en train d'éclater de s'émietter

de telle sorte que d'ici peu on va comme au temps

des Anciens reconstituer la ségrégation les gynécées

pour deux moitiés de l'humanité qui désormais

se fréquentent de trop près pour être encore capables

de se supporter.





   Octobre 2007


Il y a si longtemps que le miroir de la source
où je venais me regarder enfant pour questionner
l'étrange chose que c'est d'avoir un visage
comme la lune sous le signe de qui je suis né
s'est enfoncé dans le brouillard du passé


Mais où mais où se sont enfuies les hirondelles


La source alors était alerte et vive et abondante
Elle s'élargissait invisible et fraîche sous les saules
ainsi qu'une Fontaire du Vaucluse où venaient les oiseaux
goûter la transparence afin d'y conformer leurs chants
Seule ma main savait distinguer la surface de l'eau


Mais où mais où se sont enfuies les hirondelles


Certes ne pleurons pas La rivière coule encore
Elle n'est pas au point de se noyer dans l'infini
bleu de la mer et le delta divin semble encore
éloigné : pourtant la force du courant s'affaiblit
et s'évase Une chose qui ne trompe pas


Mais où mais où se sont enfuies les hirondelles


Sur les rives que des maisons pimpantes jalonnaient
jadis on voit de plus en plus souvent des champs
en friche des forêts sauvages de grands arbres
morts Une odeur de marécage plane dans la brume
comme un pressentiment de décomposition

Mais où mais où se sont enfuies les hirondelles


Les vignes dont les fleurs s'envolaient dans le vent
Les vergers d'autrefois qui au printemps organisaient
leur bal valses viennoises où chaque arbre rivalisait
à qui aurait la plus jolie et la plus parfumée
robe de mousseline Certes nous ne pleurons pas

Mais où mais où se sont enfuies les hirondelles








Conversation dans un wagon






- L'espèce humaine ? Finalement, cher Monsieur,
a s s e z d é p r i m a n t e. Autrefois dans mon village,
nous vivions entre nous. Rien n'était fermé à clé.
Deux pandores, comme on disait, suffisaient
à maintenir « l'ordre public ». Quand venait
un étranger, il fallait certes un temps d'observation
avant qu'il soit vraiment l'un d'entre nous. Par la suite,
lorsqu'on avait acquis la certitude que, malgré
sa langue qui pesait comme un boeuf sur sa
façon de prononcer la nôtre, malgré son air
qui resterait tujours un peu bizarre, il était
devenu complètement l'un d'entre nous,
en particulier s'il se montrait capable de saisir
nos plaisanteries à nous, celles qui font référence
au passé du village, à quelque épisode fameux
qu'on racontait les soirs d'hiver pour passer
un moment ensemble auprès du feu ; lorsqu'il était
dans notre cercle sans que désormais nul n'y fasse
attention, alors la vie redevenait cette sorte
de ciel bleu plein de confiance, d'un côté les labours
et de l'autre les vignes, avec la poussière dorée
des cloches de l'aurore qui se répondaient
d'un bord à l'autre des vallées... Mais aujourd'hui,
mon bon Monsieur, nos villages se sont changés
en villes, ou bien sont morts. On nous a tellement
redit que ce n'était pas bien de ne pas accepter
sans examen n'imprte quel étranger qui vient
se réfugier sous notre ciel. Du coup, ce ciel
s'est pollué. Les villes s'enferment à double tour,
il y a des clés partout, serrures magnétiques,
grilles, barrières, cadenas. On doit tout surveiller
et la police est sur les dents, parfois même
complètement dépassée : tenez, ce matin, au bout
du cadenas passé autour du réverbère qui se dresse
devant ma porte, je n'ai retrouvé que la carcasse
du vélo que j'y avais attaché, hier au soir : plus
une roue ! Juste le cadre et la chaîne ! Un vélo
neuf ! N'est-ce pas malheureux ? Et c'est pourquoi
vous me voyez en ce moment forcé de prendre
le métro pour me rendre sur le chantier où je
travaille. Un vélo de sept cents euros, Monsieur,
et pour lequel j'avais dû économiser au moins
pendant un an ! C'est pourquoi je vous dis, Monsieur :
l'espèce humaine finalement est assez déprimante.
Les humains sont sans pitié avec tous ceux qui ne
sont pas de leur tribu. » A ce moment, le métro
s'arrêtait à la station « Nation », et l'homme
descendit se fondre dans la foule matinale.
Je suis rentré à pieds chez moi, tout en rêvant
au temps des jolis villages rouges, sous le ciel
qui bleuissait les feuillages des vignes et les
flaques d'eau où venaient les corneilles boire
leur reflet d'encre dans les sillons des labours.










11 novembre 2007


Voici donc revenir le temps du froid et des tombeaux.
Les nuits d'air scintillant, tant et si pur qu'il semble
parfumé d'étoiles. Voici venir le temps des paysages
quasiment réduits à une sorte de simplicité de pages


blanches : oh, la neige ! - qui sait si bien arrondir
les angles ! Oh, les aurores ! - qui font leur nid
dorés avec les pies parmi les arbres transparents !
Et comme si le présent s'était subitement éternisé,


le courant de la rivière est devenu plancher de glace ;
sur les rives la joaillerie du gel s'expose à la vitrine
des ajoncs et des saules pleureurs ; plumes d'autruche,
les roseaux ploient sous leur panache de poudreuse.


0h, ce cri triste et amer ! - quand elle se souvient, le cri
de la grièche d'hiver ! Et cette figure sans ombre qui, sur le
blanc épair de l'étendue en direction des hommes inaugure un
chemin de traces noires : le poète, voyageur sans fin.


Et lui aussi se souvient : dans sa prime jeunesse, l'hiver
était moins désert, et plus joyeux les jeux des enfants,
plus nombreux, avec leurs bonnets rouges, les joues roses
des filles, leurs éclats sonores assourdis par la neige...











                          Pino Sylvestre



                                                          à mon fils.

Revivrons-nous ces jours mélancoliques où la nuit
par la voix des hulottes, et des chouettes chevêches,
hululait dans les noyers obscurs ; où l'herbe humide
essuyait à nos chevilles sa fraîcheur touffue, alors que,

tard, nous rentrions (comme on disait) «des champignons»
avec de grands paniers, profanes ostensoirs, balançant
à nos bras et répandant en chemin une fragrance rousse
où se mêlaient divinement cèpe et girolle. Automnes !

De si loin, me semble-t-il, à les revoir, la solitude était
encore en son enfance : elle s'auréolait d'une vague lueur
d'avenir qu'elle a perdue depuis – telle une rose oubliée
dans son solifleur en cristal, à l'angle de la cheminée

d'une chambre longtemps fermée, a vu par les années
dissiper son parfum desséché et s'évanouir sa couleur
à jamais. Et le vieil homme qui r'ouvre la porte, brus-
quement saisi par l'odeur du passé tandis qu'il pénètre

dans la pénombre pour aller ouvrir fenêtre et volets,
un instant croit, plutôt que du moisi, respirer le "Pino
Sylvestre" qui embaumait la pièce quand sa mère
passait en robe de soirée pour un dernier baiser.

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