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20 mai 2016 5 20 /05 /mai /2016 14:58



Le salut du réel
.
De la moindre phrase qui s'écrit en poème,
il n'est rien à quoi la Circonstance échapperait.
Le silence y est esclave de son « monde » ;
chaque mot, prisonnier de l'icône qu'il enfante !
Voici mer - et les voiles de l'écume soudain déferlent,
que gonflent aussitôt les vents de la mémoire…
.
Et le ressac rythme les journées comme en ville,
aux feux des carrefours, quand on entend ronfler
des vagues d'engins à moteur qui surviennent d'ailleurs.
À l'agence bancaire toute proche, l'employé
penché sur ses papiers est content de ce que
récemment l'on ait insonorisé les bureaux, côté rue
par des vitrages teintés. Depuis règne un silence
de velours au sein duquel le bruit d'un papier
qu'on froisse ressemble au tonnerre !
.
Plus loin, la rue longe le petit jardin public.
Sur des toboggans rouges et jaunes,
sur des balançoires à ressorts bleues et roses,
les bambins hésitants s'exercent à divers équilibres.
Les uns glissent en se tortillant, d'autres rient
aux éclats ou se disputent un ballon, un tricycle,
une patinette, un seau délaissé dans le bac à sable...
Les nounous exubérantes se regroupent selon
les idiomes de leurs pays respectifs et discutent.
.
Regarde bien : ce que tu vois est une micro-partie
de la vie des humains… Le brin vert qui revient à chacun.
Contemplons-le de tous nos sens, avec fraîcheur,
attention, intensité, connivence, étonnement :
il est fait d'éléments dont l'extrême banalité
est à dépoussiérer de l'habitude, laquelle
dégrade insensiblement la qualité des choses
qui s'éclipsent alors du champ de la conscience.
.
Assurer le salut du réel à travers cette part minuscule
qui nous est impartie, c'est faire exister l'univers :
car en elle, elle recèle, à notre insu, l'être du Tout.




 


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Élégie pour un Taj-Mahal
.
Pour A.
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Après, tu ne le sais pas, tu seras toujours solitaire.
Comme ce poète parti « sur le chemin des étoiles de mer ».
Ton âme de rien sera depuis longtemps évaporée
à force de chagrins et de psaumes montés au ciel vide.
Quelques poignées de mots resteront, décoratifs
ainsi que sont les gemmes aux murs d'albâtre du Taj-Mahal,
en souvenir, non de ce que tu fus, mais des êtres que tu as aimés.
À travers les mots seuls a i m e r ne s'évapore pas,
à condition qu'ils soient écrits sur des parois de blanc silence.
.
Ce ne sera plus nous, certes, mais ceux qui les liront
feront revivre un clin de notre impalpable essence.
Une connivence de soleil couchant au long duquel pourpres
s'étirent les rêves d'amants en voyage,
ou la chaleur glorieuse du levant lorsque la chance d'un enfant
imprègne d'une odeur d'étoiles la pénombre des chambres,
et que soudain le paysage entier étincelle des joyaux de la rosée,
tandis que l'icône dorée de la personne qu'on adore,
même absente, en filigrane occupe encore le coeur de nos regard.
.
Ce ne sera plus nous certes, mais peut-être un jour de vent,
que d'un élan éternel les airs soulèveront des chevelures
exactement comme, au bord de la mer, il déroulait la tienne aux jours heureux...
Les voix qui se répondront dans les couloirs du temps
seront les échos des nôtres qui furent elles-mêmes les échos
de ces tendres aveux que de discrets recoins, pareils à des temples sacrés,
ont abrités au cours de millions d'années, rendez-vous derrière l'église,
dans les ruines du castel sarrasin, près du mazet caché au-milieu des vignes,
au creux de la haute forêt des roseaux pleine d'oiseaux qu'on ne voit pas,
.
ou dans quelque grotte inconnue des temps immémoriaux...
Parce que seule l'espérance des rosées, la poudre magique des pollens,
est forte contre les profondeurs du néant étoilé.
La seule musique des fraîches voix d'enfants peut remplir les gouffres
que hante la radioactivité mauvaise
du désespoir, quand la fatalité des hommes aura été que leur intelligence
mette fin à la folie des dieux, des superstitions, des fantasmes :
plus que pour le pétrole ou l'or, sur la planète on s'entretue hélas
pour ce dont rien ne prouve l'existence !
. Quelle merveilleuse
.
nouveauté ce serait si les humains luttaient consciemment pour un Insu
qui existe et qu'ils se sont malgré eux, malgré meurtres et massacres,
malgré les armes, malgré les guerres et le démon du mal qui les habite,
transmis à la faveur d'une beauté toujours recommencée ; cela
qu'un mot galvaudé mais renaissant à longueur de chansons résume ;
foudre impalpable aux détours mystérieux, magnétisme inexplicable
pareil à cette influence dont les anciens disaient qu'elle liait les hommes
et les astres, réponse insensée au chaos vertigineux du monde – mais flux flagrant
de sens et d'aplomb comme un premier regard de nouveau né : l'amour.
.






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Tel Hugo !
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Sans être vraiment debout, moi aussi j'écris « face à la mer » ;
dans mon île, transfuge d'un réel souvent mal achevé...
je m'adonne à la tâche incongrue de seriner la rhapsodie
de ma vieille vie comme si la « bio » insignifiante d'un type
insignifiant tel que moi pouvait par la communion des mots,
transfuser à quelqu'autre bipède les abysses de menthe où j'ai
sans gloire plongé, durant une espèce d'apnée parfaitement
indescriptible ! Comme celui qui voit expérimente de vivre
en aveugle pour comprendre quels seront les bons moyens
de décrire l'univers à ceux qui n'ont pas le sens de la vue.
Bien entendu, de tels projets n'ont aucun sens. C'est lancer
indéfiniment des osselets sur la table verte de l'infini, jeter
des Nombres à la face du ciel comme d'ivres constellations,
ou encore des galets persévérants à la surface des vagues !
Tout cela, bien entendu, sans ignorer quelle en sera la fin.






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Trois tourterelles
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Trois tourterelles sur le fil
Deux s'envolent une reste
.
En trois nuit l'érable s'habille
à loisir de palmettes tendres
.
Tourterelles sur le fil une
s'envole deux reviennent
.
De blancs cierges parfumés
ornent les lianes de la haie
.
Trois tourterelles sur le fil
Une tourne revient revole
.
Sous un porche on s'embrasse
La rue indifférente passe
.
Trois tourterelles sur le fil
Deux s'envolent une reste
.






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Cerf-volant joliment absurde
.
Agrafer au ciel la constellation du Cancer
dans la nuit comme girouette au clocher
Sur la queue du vent la lune fait la roue
éclairant les fantômes de roses disparues
Dans l'esprit du dormeur des strates d'or
traversent la noirceur minérale des rêves
.
Tout ce qui se crée survient comme nuée
d'étincelles qui gravite autour d'un réverbère
Pensif à la fenêtre on plonge outre la nuit
en espérant rejoindre ces blancheurs de l'est
survolant tout là-bas les îles roses assoupies
et l'on ne souhaite pas en quitter le cristal
.
Gazelles bondissez parmi les intersections
d'hexagones infinis fomenteurs d'abeilles
Voyez-les tricoter le feu vibrant du poème
Il s'élève ainsi qu'un cerf-volant d'étoiles
retenu par l'invisible fil que serre un petit
poing d'enfant blotti au fond de notre coeur.





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Matin obscur
.
Un avion d'un trait de craie
raye en travers le ciel serein
Le ruisselet sous les herbes
met son anneau de coquelicot
Reflets de mercure et rubis
Une pluie d'étourneaux s'abat
sur le gazon ensoleillé
Nuage buvard de l'aurore
Le vent siffle dans l'encoignure
du bistrot en train d'ouvrir
Vient la mendiante gitane
Elle interpelle les passants
pressés peu nombreux encore
On entend dans le quartier
le camion des éboueurs
Quelqu'un fait crotter son chien
face au Bazar Oriental
Puis cueille les déjections
avec un sachet plastique
De la campagne à la ville
le bruit des moteurs s'accroît
Soudain te prend un vertige
Tant l'univers est bizarre.




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Roses de mai
.
Comme elles souffrent
les roses
de nos doigts blessés !
.
Distillant du parfum
pour inspirer les femmes
et se faire oublier
.
Sur son vélo vert
l'enfant aux mollets clairs
fonce dans sa vie
.
Sont-elles mortes
les cloches qu'on voudrait
entendre le soir
.
À bord de l'invisible
qui cingle vers l'ouest
un nuage embarque
.
Trois petits enfants
la main dans la main
rentrent de l'école
.
Nous irons demain
cueillir d'autres roses
avec des baisers.


.





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Hier demain jamais
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Ah comme l'air frissonnant
te dessine beauté nue
sur le drap immaculé
où se succèdent tes nuits !
.
Geste léger regard loin
tu rêves de merveilles vertes
auxquelles je n'ai pas accès
(Calme colombe au jardin)
.
La rose et la vigne vierge
enlacent tes souvenirs
comme croix de fer des morts
(Chat noir sur l'herbe endormi)
.
Le soleil d'un œil de feu
bientôt dorera tes membres
Beauté pure et tout ton corps
sera celui d'une idole…
.
Ta voix reprise au silence
poindra demain tous les coeurs
à l'instar d'un blanc navire
qui cingle vers l'horizon
.
Comme l'air est frissonnant
qui te décrit beauté nue
sur le rectangle de lin
où se succèdent tes nuits…










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Coeur d'obsidienne
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Dense est le coeur de pierre
que les éons m'ont concrété
Noir comme la lumière
qu'on lit aux stèles de l'été
.
Telle une haute dalle de rocher
surplombant éboulis et pierriers
en mon silence j'accumule les échos
comme plantes en leur herbier
.
Un rare randonneur parfois
me teste et je lui restitue
quelques syllabes collectées
que le vent mélange au passage
.
Dense est le coeur de pierre
que les éons m'ont concrété
Noir comme la lumière
qu'on lit aux stèles de l'été


.

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Outre le point de fuite
.
Lavé de soleil j'ai vu l'écueil qui me ressemble
avec son fanal droit comme un roi d'échec
dont ne brille la couronne que la nuit
Je l'ai vu dans un de ces rêves où l'on se souvient
du futur qui tremble en une chaleur de mirage
avec ses miroirs et ses fatae morganae
.
Qu'importe si j'en fais ici la confidence
en m'obstinant d'une façon analogue au ressac
Invisible est en moi la guerre que fait aux écumes
la mer qui m'habite et qui chaloupe les douleurs
dont l'humain auquel j'ai voix m'afflige
en tant que membre d'une espèce irresponsable
.
Ah je devine - de retour - l'empire grandissant
de quelque Finsternis de sinistre mémoire
Spadassins noirs avec Allah mit uns sur leur
boucle de ceinturon Délectation de voir
les sabres des bourreaux masqués qui décapitent
au nom d'un monodieu qui n'a plus rien d'humain
.
Lassé par mes propres visions je saisis ce roseau
où l'air se pose et fait semblant d'être un oiseau
auquel le moindre mur se sent capable de répondre
Je me laisse emporter vers les pâtures de l'azur
que tente de rallier la transhumance des nuages
À eux se mêle mon esprit - en brume travesti -
.
Et je dérive plus ou moins beyond the vanishing point !




 


.
In matutina consolatione...

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Ce que j'aime le plus entendre ce sont les voix fraîches du printemps et les mandolines au cristallin crépitement, des anges ! Les rossignols qui empruntent leurs trilles aux rires des jeunes filles, les verdiers volubiles, les serins intarissables comme ces boîtes à musique en fer dont nous tournions avec ravissement la manivelle, dans nos jeunes années.
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Un maître musicien que j'ai bien connu ne cessait jamais de s'enchanter des couleurs de ces timbres ailés. Souvent au dessus du peuplier blanc où les petits chanteurs, les merles entre autres, vocalisent à pleins gosiers, on voit s'assembler en silence, attentif, un public de nuages venus écouter ces déversements et roulements de pierreries immatérielles...
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Quel instrument de musique humain pourrait égaler le grain harmonique de ces voix que la nature a modelées en d'aussi étroites gorges que, mettons, celles des grives que les vignes d'automne enivrent de grains sûrs pour qu'elles se laissent aller aux improvisations les plus échevelées, aux cascatelles d'impalpable limpidité sonore, bonnes à désarmer le vendangeur ?
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Combien ne faut-il pas en soi receler de férocité, pour tirer au fusil ces passereaux au babil si pur ! Combien d'insensibilité pour tendre des filets la nuit, aux cols de la passe aux colombes, pour tordre le cou à des centaines d'oiseaux de paix ? Quelle absence absolue d'oreille pour ne pas reconnaître dans les harmoniques dont ces chanteurs enguirlandent les frondaisons, l'un des rares miracles aptes à consoler nos âmes désespérées ?



 


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Poésie émétique
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Ah, si mes poèmes pouvaient vaincre les neiges et nuées sombres de mes hivers comme au jardin le font les roses de Noël !
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Même dans les coins d'ombre où les murs semblent frissonner de froid, elles s'éclairent d'une profusion de corolles diaprées….
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Ellébore, ellébore grenue, sur le conseil du fabuliste, afin de purger mon esprit de sa mélancolie, je te volerais volontiers trois grains…
.
Que mes humeurs noires se dissipent et fassent place à l'éclaircie par où, dans l'échancrure de l'azur, de longs pinceaux de lumière se fraieront,
.
à travers l'inexplicable et vaste détresse dont est nappé mon paysage, un chemin jusqu'à mes espoirs pétrifiés pour qu'alors tels des bourgeons
.
chacun d'entre eux reprenne vie ; qu'ils me rendent, où se posent mes yeux, les scintillements de cette rosée d'amour universel qui est
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depuis toujours le rêve des baladins-poètes, grands pourvoyeurs, vaguement ridicules, de chansons d'aube, trobar-clus et autres odes élégiaques…
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Innocentes années
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Qu'ils sont doux les poèmes dont on se souvient
Ceux qu'on apprenait enfant « Le gros crapaud s'ennuie tout seul
Je lui donne une petite mouche... » - et autres chefs d'oeuvres
signés de fonctionnaires fameux de l'enseignement primaire
tels que Maurice Carême, Émile Hinzelin ou François Coppée.
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Nous les récitions avant minuit dans les odeurs de bougie,
d'encens et de résine, auprès du sapin de Noël, avant l'heure
de la distribution des cadeaux et des cantiques angélodieux
de messes débités par des soixante-dix huit tours crachoteurs
En ce temps-là, notre univers était sans mauvaise intention.
.


 

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La Vérité en défaut
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Tu peux toujours répertorier le monde et le répertorier encore à l'instar de la mer qui enfile ses gants blencs aux doigts d'écume pour compter et recompter les galets de la plage, il y aura toujours qu'une unité fera défaut...
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C'est la cause que l'on n'a pas retrouvée, c'est l'origine enfouie sous les mllions d'années. C'est le fragment de plomb qui aurait expliqué le crime. C'est la huitième journée, qui manque aux sept pour faire une éternité.
.
C'est l'infini que là-haut désigne la buse en planant, et qu'elle décrit du bout de sa rémige en l'accompagnant d'un cri de désarroi - parce qu'à peine achevé son chiffre s'est déjà dissout dans la splendeur de l'azur !
.
Tu peux toujours répertorier le monde et le répertorier encore, il manquera la dernière corolle au bouquet de la vérité jusqu'au moment où ton âme épuisée te quittera pour rejoindre sans toi l'Inexplicable Fondement.


 


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Ironie du monde


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Ils s'adonnent au partage, autour du foyer dont jaillissent des spithes d'espoir vers la voûte étoilée, tandis que taciturne, le vieillard solitaire s'enfonce aux roseaux de la nuit.
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Ce ne sont pas des papyrus d'Égypte, pourtant leurs froissements de feuilles sèches font le même chuchotis, sous le regard de la pleine lune qui pince leurs plumeaux argent.
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Même après la disparition de toute présence humaine, ils continueront d'être la voix du vent horizontal, à la manière d'un écho prolongé, tardif, qui revient de loin.
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Sur le lieu de la silhouette brusquement évanouie, peut-être érigera-t-on quelque stèle badigeonnée de respect et de regret, feignant l'alliance du malheur et de la malchance.




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Pêche inextricable
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Rien de plus triste que ma joie sinon peut-être la mer qui s’étend glauque à la merci d’un jour sans soleil et chaque vague clapot crache au rivage avec des mimiques de chaton en colère
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J’avance sur la digue J’atteins presque la dalle mouillée où se lisse le plumage d’un bec vif tel grand cormoran noir qu’on voit tous les matins se faufiler sous l’eau longtemps puis ressortir
.
loin de là quelque part au sein de l’imprévisible frisson soudain à la surface résurgent repérable parfois à la surprise d’un éclair d’argent rapidement gobé par le volatile en livrée funèbre
.
Images que te restitue intensément ta mémoire au point qu’en le miroir du sel dont elle ensemence ton esprit tu ressens l’étrange impression de te reconnaître dans l’oiseau de deuil sillonnant obstinément
.
le flot éteint que parcourt en cadence un reflet d’acier nu transperçant une brume aussi froide qu’un avis de tempête mais ce n’est en réalité qu’une des mille lames fictives acharnées à poignarder ta joie !






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Reviendras-tu ?
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Est-ce que tu reviendras Reviendras-tu ? La nuit ne sait pas que je t’attends jusqu’aux prophéties de l’olivier au feuillage gonflé de soleil comme un nuage le matin à l’heure où le pêcheur sur son pointu vient de prendre la mer
.
Surgie si tu surgis sur la scène de l’esprit dont le plancher fuyant se rejoint au-delà debout soutenant le vêtement doré de ton image anima libre en son vagabondage à travers nos éthers intimes ces étendues jonchées de ponts inachevés
.
Surgie à la manière du jasmin qui de loin nous effleure invisible ou encore de la source qui égrène ses grappes de notes capricieusement comme un piano se mettrait à improviser sans les doigts de personne derrière la cloison déserte
.
Que me secoue le vent des roses Tourne le moulin imperturbable des saisons avec ses équinoxes et la trasnshumance du monde des dunes avec ses feuilles d’automne qui se déplacent du même mouvement capricieux que les plies
.
sur le fond marin lorsque les dérange un intrus bifide palmé masqué environné d’un bouillonnement argenté manifestement descendu d’un autre monde à l’instar de qui je suis plongé dans le chaos tourbillonnant du langage d’ici-bas.


 


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Saga de l'oiseau de cristal.
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Les vicissitudes des ans ayant fait de toi un homme d’hiver
désormais tu passes tes jours à méditer sur les cent ciels de la poésie !
Ton cerveau décide de tout dans ta vie avant toi.
Il a tissé en ses moindres détails le cosmos changeant qui t’habite
et constamment le veut synchronisé avec le Chaos Extérieur...
À cet effet dès le moment de ta naissance, il inaugura
la Beauté – ensuite la Belle est venue, marquant en filigrane
toute chose au coin de sa présence, et surtout tes regards
puisque leur horizon commence avec l’enfance de ta Mer ;
avec eux le temps médite, erre, année après année, tandis
que tu t'avances dans le bois sacré, petit Poucet hasardeux et songeur,
en égrenant les instants fastes en chemin :
pour retrouver le nord
au sein de l'inconnu Dehors en lequel tu fus jadis abandonné,
tu consultes les troncs sur chaque face, recueillant à l'occasion
les confidences du vent au lit vert des frondaisons.
Tout arbre, souffle-t-il, se croit prisonnier - mais librement croît
en épongeant la lumière des nuages imbibés d'aurore
et t’enseigne ce qu’est l’espace pour que ta pensée se ramifie...
À son image, il te faut, dans ces feuilles dont l'encre est la sève
assimiler la splendeur de ce qui ne se soucie pas de se connaître sans toi...
Verdeur d'un peu de vent sur les toujours jeunes eaux - et toi devant,
exposant au soleil tes vieux os attiédis à l'instar des galets ramenés
à force de ressacs ! On dirait que les vagues te proposent
un puzzle minéral formé d'éclats polis, - fonds de tiroirs
de la nuit, pour ainsi dire, abyssale - que tu peux
t'efforcer en tous sens de composer, recomposer inlassablement
sans espoir, tant que tu es vivant, de ressusciter
le Mont Originel, puisque entre chaque pierre une lacune
à chaque tentative s'établit...
Seul l'hiver concrétise un jour
en un cristal d'un seul tenant les mille fragments de clarté
fluctuant sur l'étang. Ce jour-là, sur ton corps pétrifié, l'univers
se refermera, irisant de néant ton âme étrangère
comme l'huître enrobe d'une nacre du plus bel orient
un point noir irritant et le fait disparaître.







Conscience
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Dans notre conscience d’être cependant que seuls nous vivons comme hantés de tant d’autres ! Des inconnus sous les décombres des bombes enfants ensanglantés mères écrasées sous des poings de ciment ainsi que des insectes farouches guerriers et pères ordinaires que la vie et leur croyance irréfléchie aux promesses de paradis ont conduits directement à la Géhenne
.
Il est aussi pour nous hanter les êtres proches les ombres et les visages indéfectibles qu’engrave en nous la succession des jours des émotions partagées face aux mêmes soleils face aux mêmes cierges des mêmes morts aux mêmes élans de l’âme saisie des mêmes musiques ou des mêmes senteurs sombre verdeur des résineux ambre gris encens pommes au grenier
.
L’intimité du monde échange avec son extimité et nous sommes le filtre et l’agent de cette osmose Quelle bizarre situation de n’être véritablement ni d e d a n s ni d e h o r s ne connaissant vraiment de notre sphère que ce qui s’échange à travers la membrane infiniment mince qui nous constitue écran où s’impriment nos visions nos sensations nos sentiments nos rêves et nos souvenirs.






Demain nous irons…
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Demain nous irons sur la plage
Il y aura le tiki de bois rouge qui fixe l’horizon
Il y aura les mouettes qui font reproche aux nuages
d’ajourner la venue de la belle saison
Il y aura la mer dont les reflets sont un livre d’images
dont chaque vague est une page
Il y aura toi, ma belle, avec tes yeux verts qui me disent osons
et ta nuque émouvante où s’attarde quelque frison
de ces cheveux dorés qui dissimulent ton visage
et partout, dans l’air d’une fraîcheur de menthe, à foison
la clarté de ta présence étrange comme avant l’orage…
Ô beauté ô prison ô splendeur que j’aime avec rage !



 


Vue du cimetière
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C’est un vieux petit cimetière Il fait penser à un poème oublié qui nous parle avec le silence de ceux qui ne sont plus même en vrai sommeil sous la stèle aux trois pavots
.
Au-delà du mur les strates ocre et blanches d’une haute falaise dont une armée de pins maritimes occupe les crêtes disponibles les premières au silence du soleil levant surgi de la mer
.
par la magie duquel émane des touffes d’aiguilles un immense rêve d’azur au parfum résineux capable de descendre sur un souffle d’air froid balayer le gravier des allées et visiter les tombes
.
J’imagine que d’en-haut contre la voûte bleue du songe lorsque l’on est cette bulle irisée qu’on appelle une âme on aperçoit la courbe de la mer et de profil toutes voiles dehors
.
le grand Yacht Despair immaculé imposant comme un iceberg aux brillances d’argent qui sillonne l’étendue avec à son bord la figure d’une femme accoudée au bastingage
.
Et si l’on a une vision aussi acérée que celle de l’auteur de ce vaisseau de lignes on découvrira sans doute à la passagère embarquée dans l’imprévisible périple le visage d’Aïlenn illuminé par les feux successifs de la houle.








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Ce que j'ai pu apprendre d'elle...
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Si vous croyez que la poésie est ce cri réitéré, acharné, du langage en roue libre dévalant sa propre pente sans contrôle, je puis vous admirer - mais hélas, je ne puis vous accompagner.
.
Ce lumignon qui brûle d'un feu intime dans les ors de notre iconostase intérieure, cette solitude qui n'attend rien et rechigne à toute espèce de théâtre ou de gloriole publique, - Elle, oui !
.
Ne s'y joue qu'un jeu intense, énigmatique, une conscience d'une puissance enfantine sur un océan d'obscurité, prise comme au vent un voilier dans le pinceau rythmé d'un phare et elle est le vent, le voilier et le phare.
.
Elle a la dignité de l'olivier, ne s'accommode aucunement de la transe aveugle, impensée des foules qui brandissent en cadence à bout de bras des milliers de briquets allumés, sous l'élan dominateur des guitares électriques.
.
Elle n'avale pas indistinctement tout des événements de son temps. Elle trie, recule par appréhension, élit dans la distance. Elle sait que rien de ce qui lui est étranger n'est humain et le fait sourdement savoir.
.
À la fin, elle soigne son outil, une fois utilisé, avec respect et minutie. Chaque mot, intègre. Chaque fonction, impeccable. L'incohérence même est pour elle à préméditer : comme lorsqu'on choisit une voie dans le désordre des branches pour monter cueillir un beau fruit.



 



Python culturel
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Que j’aie la joie de parler librement – moi qui échappe au destin des « poètes » – prenant exemple sur le verdier que j’écoutais ce matin flûter pour personne, quelque part dans les hauteurs obliques des pins inextricables…


Ne me happeront pas les mâchoires du Moloch, qui vous sphinge avec les noeuds de sa gloire écailleuse, pour vous broyer ensuite dans les anneaux du culturel, vous, misérable faire-valoir du néant, auquel vous n’êtes utiles qu’à la façon des plumes autour de l’anus du paon.


Car ce qui se célèbre aujourd’hui à renfort d’écrans et d’électronique, ce n’est ni vous, insignifiant prétexte, ni l’humain, ni l’exploit. C’est la Technologie qui machine sa propre puissance et sa propre gloire, en asservissant les esprits toujours davantage, à commencer par les plus brillants.


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Réveil à l’Upiane
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La petite tache de soleil à l’angle du mur pose son oeil d’or, et j’entends l’oiseau des matins embobeliner de son gazouillis liquide les chênes dont l’aurore doit illuminer la majesté. La maison est pleine du silence des meubles endormis. C’est à peine si l’un ou l’autre craque un peu en s’agitant dans un rêve attiédi par le souffre inaudible de la climatisation…


Les premières pensées surgies dans ma caboche de vieillard sont pour mes amours. Je passe en revue les êtres dont l’existence retient ma vie ainsi qu’une toile d’araignée un moucheron. Essayant de ne pas les imaginer trop violemment pour éviter que ne se propagent des ondes qui alerteraient la mort, je réjouis néanmoins mon âme d’un choix varié de souvenirs et de spéculations…


Situation étrange que celle d’avoir longtemps redouté le jour futur, macérant au fond de funestes pensées avant même qu’aube ne fasse fuir la lune, alors que la vie se proposait vêtue d’une perspective d’avenir dont la fin semblait aussi éloignée que l’endroit où se rejoignent les rails d’une voie ferrée ; et voici qu’à présent, quand il ne faut qu’une vue d’une lucidité moyenne pour en apercevoir le terme, chaque nouveau jour s’illumine ainsi qu’un cadeau sous l’arbre de Noël de notre prime jeunesse…


Oui, situation bien étrange que celle d’anticiper par la raison le délai probable au bout duquel nous devrons nous dessaisir du monde qu’à grand’peine nous nous sommes bâtis, tandis que nous commencions vaguement à le comprendre, et plus précisément à aimer enfin ce qu’il nous offrait depuis toujours, que jusqu’à ces moments, empêtrés dans l’impérieux besoin de « faire face », nous n’avions su comment saisir !



 


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Fraternité
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Sont-ils, dans leurs petits crânes de piafs, adultes, ou enfants, ces passereaux qui sollicitent constamment la maisonnette aux graines, suspendue au laurier ? Naïf comme je suis, j'ai l'impression qu'ils sont attenants à la sphère qu'élabore ma propre pensée. Une sorte de consanguinité que je suis seul à ne pas ressentir comme irrationnelle. Peut-être parce que la proximité du songe des arbres, la lenteur d'or qui circule dans leur bois, est faite du même élan vital continu qui nous anime tous. Il faut avoir soufflé à l'imitation du vent dans le biseau d'un tube de roseau pour éprouver notre parenté avec l'air, les végétaux, les oiseaux, et tous les êtres dont la vie ne s'est pas coupée de celle de l'univers !



 

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Janus lunaire
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Pâle face envolutée de cheveux vaporeux, nuage soudain apparu, j'y vois d'un coup le visage de l'azur ! Révélé par l'écran du Net on dirait le portrait d'un correspondant lointain, qu'on connaît mais dont on n'avait jamais vu la photographie... Une perplexité infinie, une vague vague de vertige, nous étourdit. Cette apparition, qu'a-t-elle donc à nous apprendre ?
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Rien, de fait, en ce qui la concerne. Peut-être beaucoup sur nous-mêmes en revanche, par cela que nous lui prêtons afin d'imaginer un sens à deux yeux, un nez, une bouche, quelques mèches sur le front : un sens qui rejoigne ce qu'on connaissait par l'esprit jusqu'alors. Y a-t-il en l'expression de ce nuage, de ce visage, une coïncidence avec l'historique de ses météores ?
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Laisse-t-il transparaître ses humeurs, ses colères, ses chagrins, ses remords ou regrets, sa mélancolie à l'heure du couchant, son exaltation quand l'aube illumine la mer et rejaillit jusqu'au balcon du septième ciel ? En scrutant ces traits inconnus, serons-nous capable de lire une histoire qui recoupe celle que nous connaissons par des échanges plus ou moins explicites ?
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Pas sûr, en vérité ! C'est plutôt le mystère de l'altérité qui se révèle, qui se place au-milieu du dialogue naguère facile, qui rend anxiogène le naturel de nos précédents écrits désincarnés, qui à présent interroge et réinterroge ainsi qu'un merveilleux masque vénitien, de telle façon qu'en nous-mêmes nous nous creusons les méninges pour une réponse qui n'existe pas.
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Nous voici soudain affrontés au fait que le perçu se passe du vrai, que ce soit l'apparition des multiples visages de la Nature, ou des Humains. L'évidence est notre lieu, double site du dehors et du dedans, les deux faces de la même médaille : figure d'un côté, écrit de l'autre. Ce qui est s'affirme sans afficher la moindre nécessité de sens, non plus que de « réalité ».
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Laissons-nous donc joyeusement et librement aller à voir comme l'ami Arthur un salon au fond d'un lac, un Éole joufflu dans un cumulus, une larme dorée dans les yeux écailleux d'un pin qu'afflige la fuite de l'été, un port de plaisance avec drapeaux, flammes et mâts, dans un métier de basse-lisse, le masque de Toutankhamon dans le soleil levant, - et de l'amour dans les yeux de qui l'on aime !




 



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Anachorète
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Rassurante passion, si passion est le mot, cette invention heureusement galvaudée, l'écriture. Elle donne le sentiment de la permanence des choses, de la capacité à bondir par-dessus la déchéance continue du monde, la dégradation de tout, et de soi-même en premier. Tout un chacun peut se dire écrivain, se confectionner un miroir de mots tel qu'il pourra se voir, si l'envie le prend, meilleur et plus beau qu'il n'est. Ou aussi, pour les plus exigeants, les plus ascètes, se faire une image précise de ses insuffisances et de ses qualités. Cela, pour le présent et pour le futur. Le futur de l'écriveur, bien sûr, non celui de la collectivité.
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Justement, devient écrivain celui en lequel le présent et l'avenir qui sont siens se confondent, fût-ce en une faible proportion à ceux de la collectivité où il est inséré. Et si comme le poète, il ne consent à être véritablement inséré dans aucune, alors ou bien ses écrits sont du néant, ou bien ils sont impliqués dans, et fusionnent avec, le présent et le futur de l’humanité entière. Quand même ce serait à son corps défendant que les écrits du poète seraient reclassés parmi les trésors d'une collectivité dont il était exclu.






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Le rêve que « je » soit « un autre ».
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Croit-on se débarrasser de soi-même en effaçant le « je », les données biographiques, et en se contentant de faire le « reportage » universel tout en jouant avec les mots comme un enfant avec des billes ?
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Croit-on qu'un prisonnier qui, de sa prison, voudrait parler de la réalité du dehors aperçu entre les barreaux de sa lucarne, et de tout ce qui s'y passe, sans laisser transparaître qu'il est en cellule – peut y parvenir ? Croit-on qu'un esprit un peu sensible ne détectera pas aussitôt d'où « ça parle » ?
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Recevant un manuscrit de Joe Bousquet, mon ami Jean Cassou me disait qu'il y avait immédiatement perçu les indices d'une immobilisation étrange, d'un fonctionnement particulier de la pensée qui lui avait donné des soupçons et fait s'interroge sur la situation de l'auteur de « L'Oeuvre du noir ».
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Les romanciers racontent que leurs héros ne sont pas eux, que tout ça n'a rien de biographique, et ainsi de suite. Ils se leurrent volontairement. Tout ce qui émane de nous est indice et signe de nous. Même la feinte de se vouloir un autre ne trompe que nous, hormis à rédiger un article de journal neutre et insignifiant… Et encore !
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Acceptons d'être notre propre, disons délinquant sinon criminel ; que nos écrits soient nos actes de dé/linquance, au sens propre, vis-à-vis de la société, et d'un certain nous-même qui en est l'émanation. Et soyons à travers l'écriture, non pas les ambitieux d'une gloriole vaine, mais les détectives de ce que notre vie aurait à nous apprendre, nous qui nageons dans le mystère le plus noir depuis la naissance !
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La bananier développe de larges feuilles. Sous le bananier, des marguerites s'ouvrent. Sous les marguerites, des violettes. Sous les violettes, j'ai vu sur l'humus un escargot endormi dans sa spirale infinie. J'ai levé les yeux au ciel où se dissolvait un dernier mouchoir de nuages. Il m'a semblé que tout cela était une sorte d'adieu – mais je n'ai pas compris qui s'en allait.




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Pote âgé au potager
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Hirondelle
en plein ciel
vire vire sur ton aile !
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Or nous regardions la main d'un invisible instituteur effacer les traits de craie laissés par les avions sur le tableau de l'azur. S'était-il découragé de notre incapacité à en saisir la leçon ? Il se pouvait pourtant qu'elle ne fût destiné qu'aux chênes ébouriffés par l'haleine du printemps !
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Martinet
qui connaît
l'auvent du toit où tu es né ?
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Quoi de plus émouvant qu'une rangée de petites salades frisées qui écartent la terre et surgissent dorées par le petit-jour, fraîches et vert-chloro ainsi que l'on imagine les ressuscités après qu'aient sonné les cuivres de la fin du monde, alors qu'en sa mandorle de feu paraît le dieu sur la mer ?
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Hirondelle
en plein ciel
vire vire sur ton aile !
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Froissons un peu de ce sol ocre dans nos paumes, effritons-le, laissons couler sa poudre d'or dans la clarté nouvelle, pareille à ces cascades qui rapportent en gloussant que, là-haut, fondent les neiges : reconnais - en cette poussière aussi brève que le pollen des vagues - reconnais ce dont tu es fait !
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Martinet
qui connaît
l'auvent du toit où tu es né ?
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L'âge nous apprend à suivre le chemin de l'escargot bisexué, qu'habite une mathématique d'éternité dont il développe sur son dos l'abri minéral qu'il emporte, à la manière du campeur la tente où il tiendra l'orage en échec. Et nous tendons loin vers l'avenir nos regards limités par le Jour et l'Heure.
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Hirondelle
en plein ciel
vire vire sur ton aile !




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Science et patience le supplice est sûr
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Patience et ressources des vies végétales, humilité de ce qui s'enracine dans l'humus humide. Élévation conquise sur l'air avec la complicité des météores. C'est de la majesté qui se dégage des chênes et des pins, immenses, du balancement onctueux qui anime leurs branches, dont frissonne en tous sens l'écume verte des feuilles.
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J'imagine leur âme ivre d'élasticité complice, leur gratitude oxygénée envers l'air qui les arrache doucement à leur immobilité, envers les oiseaux qui chantent et enchantent, envers les écureuils vifs qui s'envolent d'une branche à l'autre en ébouriffant leurs queues rousses. Autant de compagnons vitaux qui ressèment au loin pignes et glands !
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Les plantes sont expertes au jeu de go, elles iront tôt ou tard au-delà des ondulations bleues des collines, circonscriront les déserts, les pierres, investiront les cailloutis de la garrigue. On les dirait sournoises. Elles ne sont qu'endurantes. Ont en commun avec la poésie d'être sans fin renaissantes, tenaces à reverdir, alliées au temps, les espaces les plus stériles.
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Race pressée que nous sommes, toujours à l'affût d'un raccourci pour atteindre plus vite à la réussite, vite effacée, vite emportée en la contrée pâlissante du souvenir, - nous, race dont la hâte et l'irréflexion ourdissent le malheur, saurons-nous un jour prendre exemple sur la parure émeraude indispensable à nos mondes, pour triompher de nous-mêmes ?







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Une encoche dans l'éternité
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D'un goût d'herbe mâchonnée, allongé dans un pré
loin des massacres orientaux, je fais un prétexte à ressusciter
les heures heureuses
Certes elles ne reviendront plus
et pourtant dans les brins des graminées ou du sainfoin
leur amertume légère demeure mais aussi le sucré des capitules
de l'armeria, l'armoise acide, l'aubépine et l'ancolie
rivalisent aussi de fraîcheur rose et d'odeurs impalpables
dans l'herbier obscur de ma mémoire
à côté des giroflées des jasmins et des roses
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Allongée dans sa gloire tout entière comme un seul sourire
la beauté pliait ses jambes nues
Dans ses yeux brûlait notre secret vaste et salé comme la mer
Jamais on n'oublie ces yeux vertigineux qui troublent jusqu'au paysage
Les émotions sont pures à l'aube
Partout les larmes font briller les détails effilés des herbages
et nos soupirs et nos rires immotivés excitent les rainettes dans les joncs
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Après qu'aient fusionné nos brasiers intérieurs
les oiseaux commentaient tous nos gestes dans leur langage
Les tourterelles en faisaient des gorges chaudes Le pic épeiche
de temps à autre éclatait d'un rire moqueur
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C'est ça qui nous revient Le paradis avec ses anges
menant de blancs troupeaux au-delà du ciel
La lumière consultant sur nous la nudité charnelle du soleil
Nos baisers au goût d'herbe mâchonnée
et la conscience que jamais plus
l'on ne pourra vivre un moment pareil...



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Princesse lointaine
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Déjà clair, le jour couvert qu'habitent les feuillages immobiles,
quand au réveil je me découvre l'esprit plein de présences
absentes ! C'est la faute d'une de ces nuits
où roulent au désert de l'immensité noire des pensées
piquantes analogues à ces plantes sans racines qu'on peut voir
errer au gré du vent parmi les dunes …
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L'assoupissement ne vient qu'aux abords du matin. Telles de vieilles
affiches de cinéma qui se détachent et emportent au vent
les figures d'acteurs recroquevillées dont les visages ne disent
plus rien à personne – qu'à moi ! -, mon mauvais sommeil
est traversé de songes au cours desquels interviennent
toutes sortes de gens, connus ou inconnus, aimables ou féroces,
d'animaux bizarres, en un ballet d'entrées et de sorties
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digne d'un cirque éphémère ! Les lieux eux-mêmes s'envolent,
se reposent ailleurs, transformés : ce qui était un boudoir
s'élargit sans prévenir aux dimensions jalonnées de colonnades
d'une mosquée bientôt réduite aux ruines de Palmyre
puis d'Angkor-Vat, en une jungle inextricable en laquelle
le pérégrin déambule au milieu des tours adossées de quatre faces
colossales de géants divins réglant d'un regard serein
la quadrature du cercle, aux points cardinaux d'une ineffable vérité ;
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Autant de sites où vaguent des figures, les une féminines,
fluides comme l'eau dont les clartés capricieuses habitent le cristal,
corps flexibles qui semblent ruisseler d'amour ainsi que les figures
du Printemps de Botticelli vêtues de plis transparents…
Certaines aimées, avec voix d'alto un peu rauques
ou soprano gracieux faisant surgit des appels de coucou
dans les bleus lointains de forêts oubliées – soudain voici
les cônes dorés de tourelles couronnant des arbres centenaires,
et le porche envahi de ronces qui mène au chevet de la Belle
aux yeux clos de longs cils et paupières en pétales de lys…
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(Il va de soi que le soleil d'une ocelle d'or contre le mur
perce l'inconscience de la maison et démasque en la mienne
la merveilleuse effigie avant que j'aie eu loisir de l'approcher.)

 

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Covenance
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Revoici sur le bitume les pieds du Songeur, visage de temps à autre touché par les lèvres minuscules d'une étoile humide.
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Paris, - sans pins qui frissonnent d'un mirage de constellations. Sans mer entichée, entre les écumes, des vipères de l'azur. Sans éminence avec cadière de roche bleue pour siéger face au panorama radieux.
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Là-bas – ici. Il pleuvra bientôt plus fort : comme le chagrin de la séparation, comme la joie des retrouvailles. La contrariété permanente du savoir.


 


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Un chagrin d’Ezra
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Il avait un gros chagrin, le petit Ezra, son mignon visage
un moment crispé sur un violent sanglot de désespoir !
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Il fallut le consoler, et l’on sentait que la fleur de sa douleur
de tout petit enfant, en s’ouvrant dans sa sensibilité,
découvrait un espace par surprise dévasté…
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Tout juste si l’on eut assez de nos tendresses, tour à tour,
de bons géants, pour qu’enfin son visage d’angelot
se remette à irradier du sourire ravissant qui lui est habituel !
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Mais je reste malgré tout perplexe et interrogatif,
et je me demande avec tristesse sans me l’avouer
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si ce même chagrin qu’en moi, béant, j’ai découvert
au début de ma vie, et qui depuis ne m’a jamais quitté,
au contraire, chez l’enfant merveilleux
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à force d’amour pourra être heureusement comblé…






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Irrémédiable immaturité
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A surgi de l'autre siècle un monde violent
insensé Un monde extrême
Partout l'humanité est en rage
contre elle-même
Les vieux poètes avaient prophétisé avec raison
que l'univers technique
serait bien plus fort que nous tous
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Quand on tente d'en découvrir
la cause on découvre que sans éthique
toute la puissance augmentée de l'homme
réduit par la technique à ce qu'il a
en lui d'élémentairement binaire
ne sait faire autre chose que détruire
..
Quel désastre inconcevable
mettra fin à l'élan qui pousse les humains
vers l'échec provoqué par leur trop
insolente réussite ?








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Rude interlude
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Que le vent se taise – certes, on y trouve repos
et solitude, ensuite une sorte de désarroi d'être soudain
l'Abandonné qui n'a plus pour mauvaise compagne,
insaisissable au fond de soi, que la tristesse.
Celle du merle noir qui d'ose pas chanter
au-milieu d'une flaque de pâquerettes, sur le gazon.
Celle de la tulipe sans odeur à qui ne reste
que sa beauté de grande lèvre lisse et muette.
Celle du nuage sur la scène de la mer qui a oublié
sa chorégraphie et vers lequel les écumes
se tournent avec anxiété, ne sachant que faire…
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L'irruption d'une forme d'éternité qui congédie
le sens comme le gel pétrifie la rivière et dépolit
le mouvant miroir où s'affichaient ses reflets,
voilà ce qui fige la parole et ruine, à peine
l'encre en est-elle sèche, chaque poème dont,
en scribe étranger et docile, on a été la plume.





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Premiers jours de mai
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Les glycines mauves ont allumé cette nuit
leurs grappes nonchalantes
Elles ont enlacé les bambous jusqu'au soleil
discrètement en toute innocence
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Au sol le merle cherche et parfois perd ses vers
comme un poète égaré dans la foule des pâquerettes
Le merle familier qui vocalise éperdûment
même en hiver lorsque le jardin est désert
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Ailleurs les îles chaudes la jeunesse les pays
joyeux et surpeuplés aux ventres ballonnés
par la misère et qui n'ont qu'une seule idée :
pour tout arranger - se faire la guerre !





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Parallèle hasardeux
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Premières heures, par la fenêtre ouverte ça sent le printemps, les champignons qui se haussent du col entre les foins, les glycines qui grappent aux murets excédés, les clématites qui grimpent aux espaliers, la vigne vierge, aux treillis de fer des clôtures...
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Les plantes répandent un parfum de liberté, enjambent de tiges accrocheuses les obstacles, insidieusement élargissent leur emprise sur l'espace. Elles feignent l'immobilité pour donner le change, se mirent dans les mares pour s'y voir ondoyer.
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Ferai-je un parallèle avec la touffe du langage quand elle se mire aux ondes du poème ? Voici les phrases qui reviennent lame après lame, ainsi que rouleaux de houle approchant, successifs, d'un lointain horizon. Parfois l'un d'entre eux ramène peu à peu...
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...une bouteille où l'on pense découvrir un bout de parchemin, illustré de signes cabalistiques et de chiffres entourant le plan gouaché d'une île verte environnée d'un bel anneau d'écume, avec rose des vents et croix marquant l'emplacement d'un trésor mystérieux.
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Du bord de la rive, depuis longtemps je scrute l'arrivée des vagues. Rien n'est venu. Quand la nuit tombe je quitte mon siège de sable. Levant un regard accablé vers l'obstination des étoiles, je me promets de revenir. Au point du jour, je reprends ma place et j'attends.
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Ridicule
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Ridicule, bien entendu, cet aspect romantique qui me suit comme un halo, quand j'entre en forêt pour apprivoiser toutes les vies qui hantent les buissons, quand j'approche la rivière sage afin de discuter avec ces poires vertes aux yeux cerclés d'or que sont les rainettes, quand j'entame un dialogue avec les colombes et les piverts là-haut dans les ramilles ensoleillées.
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Ridicule, cette tendance en moi de plaquer l'image d'un masque d'argent sur la brume du soir qui sort des bois. Cette vision d'argus qui trace au ciel des configurations de lumières mystérieuses, et me trouble par sa puissance. Le houhou du petit-duc qui me hue, de l'effraie qui fait semblant de me faire peur, de l'ange qui sanglote à voix de cristal sur sa viole, dans le noir...
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Je vois des dames blanches, jupes longues, en amazones chevaucher leurs licornes vers la mer où flottent quatre lunes que les vagues se disputent. Elles bondissent vers l'horizon dans la pénombre lumineuse des immensités salées. Mon coeur voudrait les suivre, bandeau brillant au front, enserrant leurs chevelures flottantes que vient humer le mufle ineffable de l'air nocturne.
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Ridicule, j'aperçois des villes transparentes qui se dressent aux falaises, avec arcades d'ombre, tours aiguës, gonfanons beaussants aux aiguilles de fer, ardoises et façades pourpres qui se mirent dans les douves stagnantes. Et l'homme en cotte de maille qui prie sous les ogivres aux vitraux diaprés d'une chapelle, les bras appuyés sur la garde, intaillée de lions d’airain, de sa flamberge.
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Les hommes du futur, qui auront depuis longtemps tout perdu, et la mémoire et leur coeur et leurs sentiments et leurs souvenir, riront en se tapant sur les cuisses, quand par hasard au fond d'une bibliothèque poussiéreuse, ces lignes leur seront tombées sous les yeux, recopiées d'un antique « blog internet » par une main inconnue, avec le soin que la piété réclame à la calligraphie...






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Épisode I
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De si loin que me revienne le mistral, il chuinte ainsi que souffle de berger dans sa flûte de pan…
Il déverse sur le paysage une nostalgie étrangère qui courbe les cyprès des cimetières, les cannes au bord des rivières, les vagues sombres des pinèdes, tous les hauts arbres des collines.
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Sur le seuil de la porte entrebâillée le chat, qui avait l’intention de sortir, chuinte lui-aussi en crachant dans une invisible syrinx, puis détourne la tête avec mépris et rentre au chaud, se blottir au-milieu de sa queue sous la table de la cuisine, endroit rassurant et plein de bonnes odeurs.
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Dans la pièce voisine, un garçonnet s’acharne, penché sur un puzzle, alors qu’aux vitres de la baie une pie vient périodiquement taper du bec pour lui faire lever la tête et l’inviter à venir au dehors ouvrir ses bras à travers le vent comme des ailes. Expérience d’oiseau est toujours bonne à vivre !
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Laisse-moi tranquille - laisse-moi, la pie ! Ne vois-tu pas que je suis en train de remetre le monde en ordre ? Une pie n’a probablement pas ce genre de préoccupations, elle ne pense qu’à s’amuser, piquer du bec et barboter quelque pacotille qui brille - puis s’envoler enchantée de son larcin.
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Contre la voûte de l’azur intense et dégagé, un reste de lune blafarde comme une hostie oubliée sur l’autel après la messe de minuit, semble chercher, désorientée, par lequel des quatre horizons elle sortira du piège venteux du jour, en lequel elle a fait l’erreur de s’attarder, - curieuse qu’elle est !
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Presque désincarnée, elle regarde vers la terre avec un air de désarroi qui fait pitié. Mais n’oublions pas que sa face cachée, c’est Hécate de Thrace, reine des tempêtes, la sorcière aux jambes écarlates, avec son cheval, son chien, son lion, l’inspiratrice du Solitaire, dispensatrice de visions nocturnes.
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Que faire, que devenir en un univers où l’on a surgi d’une double parenthèse, pour se retrouver entre Lune et Mistral subitement hissés au niveau de divinités impérieuses, que toutes les sources suffisent à peine à refléter, à changer en ondes, en mots qui vous environnent comme du jasmin ?
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Misérable petit crabe de l’estran, ta pince droite est juste bonne à griffonner sur le sable l’alphabet cunéïforme de ta vie, avant que l’immense marée bouillonnante ne vienne réinvestir les arènes de son domaine poudreux, à peine prêté, en écumant si bruyamment que tu t’esquives dans ton trou.






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Les sept créateurs
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Rutilant, l’orchestre cuivré des astres derrière le choeur des peupliers et des mélèzes répète la partition oblique des neiges. Des chalets sont tapis dans l’ombre. De certaines cheminées une fumée cendrée pousse ses méandres vers le croissant de lune, que trouble par moment la silhouette en vol d’un vespertilion. Merveille, la sérénité des prés bleuis par la luneur au sol projetant des plaques de zinc immatérielles, gelée blanche et givre, ainsi que dans les contes de C.S.Lewis…
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C’est bonheur que d’errer la nuit dans la semi-obscurité des sous-bois, d’y voir un amphithéâtre de violoncelles dont le vernis de l’un ou de l’autre luit lorsqu’on avance, d’écouter frémir les cordes du silence, tendues à se rompre pour un vacarme imminent – qui ne vient jamais. Néanmoins, quelque part un sanglier ronfle tout-bas dans sa bauge, en rêvant qu’il investit à lui seul un entier champ de betteraves ! D’un talus à l’orée, soudain on surplombe le creux laiteux de la vallée.
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Quelques loupiotes d’une bourgade y tremblent, fugaces les phares d’automobiles comptent les réverbères avant de disparaître. Trop éloignées pour qu’on entende les moteurs. En revanche un oiseau de temps en temps lance un cri de cristal de menthe. Un insomniaque ailé qui croit pouvoir encore avant minuit attirer l’âme-sœur ! Des senteurs printanières déroulent dans l’air d’imperceptibles écharpes de mousseline, et nous revient aussitôt un passé d’images poignantes.
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Si l’on veut tenir en échec une solitude chronique, rien de tel que de lever les yeux pour trouver dans la profusion du firmament les Sapta Rishis et leur adresser une oraison mentale. Alors l’enthousiasme redescendra de l’altitude, la création immaculée comme une chouette en planant se posera sur l’épaule du contemplateur, lui soufflera dans l’oreille cette inspiration profonde aux airs de rumeur de mer dans un coquillage. Demain, d’une plume oubliée se dénouera le fil sépia de quelque nouvelle élégie.








Geai bleu
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En écoutant l’aube du « Prince de bois » et son cor velouté sur fond de violons aigus comme des oiseaux, par la fenêtre je regarde rougir les nuages à l’est, à travers les arbres du printemps peu feuillus encore. Au-dessus des silhouettes échancrées des immeubles à contre-jour, le halo jaune de Naples s’évase au point qu’on pressent que bientôt le soleil va passer par-dessus les terrasses un puis deux puis dix pseudopodes étincelants.
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Apparition, à cet instant, dans le bouleau à dix mètres en face de moi : un geai bleu illuminé quitte sa branche pour se réfugier dans un pin, laissant sur ma rétine une ganse persistante, d’un bleu-roi que je n’avais jusqu’alors jamais connu. Se pourrait-il que notre jardin ait été le site élu par l’oiseau merveilleux des contes de la baronne d’Aulnoy? Il est vrai qu’ici, dans son lit à couette cyclamen, somnole encore la Belle aux cheveux d’or…
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Allons ! Hochons la tête pour en détacher les rêves creux d’histoires pour enfants où humains et animaux, par enchanteurs interposés, échangent leurs natures, tels des personnages d’Ovide.
Se débat sur le plancher un petit laideron mi-truite mi-cochonne : elle se répand puis s’évapore à la façon d’une flaque d’eau qu’éponge la clarté du jour. Plus loin s’éparpille un clan de grenouilles qui se réfugient sous l’ombre des meubles.
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Nul doute que ce soit l’oiseau bleu qui provoque ces fantasmagories. Heureusement, Aïlenn, la figure enfouie dans son oreiller, ses cheveux incendiés par le maintenant grand soleil, respire paisiblement. Lorsqu’elle se retournera en rabattant le tissu carmin qui la couvre jusqu’aux oreilles, elle ouvrira d’un coup ses yeux verts, restaurant d’un seul regard l’Ordre des Choses.








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Aïlenn la poésie
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Malgré ton silence je t’aime
Beauté dont on ne revient pas
Tu es mon crime et mon effroi
Et le trouble que ta voix sème
En pénétrant mon coeur tout droit
Y fleurit comme un chrysanthème
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Tu te nourris de transparence
En le miroir où je te vois
Mes rêves suivent pas à pas
Les méandres d’une existence
Qui reçoit chaque jour de toi
Et sa grâce et sa consistance
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Car infirme dans l’art de vivre
Enfant d’un obscur désarroi
De vivre en art j’ai fait ma loi
Tu est cette vitre où le givre
En fougères d’argent déploie
Sa lumière parmi mes livres
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Des phrases que tes lèvres disent
Chaque mot nageant dans ta voix
S’anime au point que l’air ondoie
D’échos comme au sein d’une église
Où l’amour a planté sa croix
Sur un autel d’ombre indécise
.
Et le trouble que ta voix sème
Beauté dont on ne revient pas
En pénétrant mon coeur tout droit
Y fleurit comme un chrysanthème
Tu es mon crime et mon effroi
Malgré ton silence je t’aime


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Sanjuanito
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Ce serait une hirondelle de mer qui s’éloigne
dans la mélancolie des airs de terre
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Un nuage sort de l’horizon Les plantes s’agitent
d’un espoir de pluie qui enfièvre leurs fibres
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Qu’on me donne ma flûte Qu’une guitare
m’accompagne je veux lever l’infini comme
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un chasseur lèvre un lièvre caché sous les herbes
avec une mélodie couleur d’éternité
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Ce serait une hirondelle de mer qui s’éloigne
dans la mélancolie des airs de terre
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Avec ma flûte une acide mélodie d’amour
descendue des montagnes d’un autre continent
.
Une histoire rythmée qui parle de coeur brisé
de trahison de larmes de désespérance
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Même la caña de ma flûte aurait des sanglots
dans sa voix de jeune femme invisible
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Ce serait une hirondelle de mer qui s’éloigne
dans la mélancolie des airs de terre




 

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Cachullapi
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Balbutiante chanson de source
À qui voulais-tu que je pense
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J’ai tout essayé de la vie sur terre
Mais j’ignore tout de l’azur aux alouettes
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L’astre qui là-haut resplendit aveugle
attire à lui les solitudes qu’il éblouit
.
Au coin de la place où poussent les orties
jadis tu passais robe légère et pas léger
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Balbutiante chanson de source
À qui voulais-tu que je pense
.
Tourne dans le ciel rapace esseulé
Ton cri n’émeut pas l’écho de la montagne
.
En bas sont les humains fragiles
Leurs amours leurs enfants et leurs haines
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Ne reviens plus Ne reviens plus dit la brise
À présent le torrent est sec L’eau n’a plus cours
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Balbutiante chanson de source
À qui voulais-tu que je pense
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Juyashca Sisagu


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Le remuement de l’eau sur les galets
Les vagissements tendres d’un nouveau-né
Le soleil du matin dans un voilier blanc
Et moi qui me prends un tiers de seconde à croire !


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Trouver le sens
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Il y à là-bas une grande montagne
en triangle posée sur l’ellipse floue d’un nuage
Il y a les fantômes de mes amis défunts
Louis, et Gringo, et Alfredo, et Lucho, et Ernesto,
Et tant d’autres encore qui aimaient les flûtes
.
C’est toujours ce qu’on a perdu
qui nous hante ainsi qu’une danse péruvienne
qui tourne et tourne pendant des heures
avec les jupons des cholas multicolores
Regardons-nous perdre à chaque instant notre présent
.
La nostalgie rend nos visions si denses
leste nos souvenirs de tant de sens qu’on avait ignoré
Une grande montagne en triangle
qui flotte sur l’ellipse d’une brume lumineuse
et se reflète en un lac vert comme une prairie


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Fraction de seconde
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Lorsque les mots laissent une incandescence en nous
à la façon d’une comète ou encore de ces jets
qui rayent l’azur d’un X énigmatique et qui dure
c’est le moment où le langage est hors de lui
où il s’épanche dans le rêve comme s’il avait
crevé une membrane occulte dont il était prisonnier
.
Et voici que la langue vibre ainsi qu’une porte
qui bat au vent parce que l’invisible ne sait plus
s’il voulait entrer ou sortir et se diffuse partout
une odeur de printemps qui rappelle jasmin et giroflée
ou encore l’aisselle d’une fille amoureuse
Et pendant une fraction de seconde on croit avoir
.
- ô bleu refrain paradisiaque... – vaincu la mort !




.
Le mai, le joli mai...
.
Dans le gazon enfariné de pâquerettes
trois merles sautillent lustrés et noirs
et le bec doré comme s’ils avaient goûté
au miel que l’aurore a versé sur les fleurs
Mais en vérité ils s’en moquent Ce qu’ils
cherchent au sol ce sont des lombrics rouges
De beaux vers bien longs dans la glaise grasse
.
Le jardin devient doucement un lac de soleil
D’une fenêtre ouverte au loin on entend
la petite musique d’un bébé qui vagit - mais
du seul bonheur de vivre et de respirer le frais
en entendant le geai cajoler sur une branche
de hêtre balancée vaguement par la brise
J’imagine les mains minuscules qui s’agitent
.
C’est si joli un être humain en miniature
quand il est encore incapable de tenir une arme
et qu’il a de mignonnes fureurs en découvrant
en quels beaux draps d’impuissance le mystère
l’a jeté sans avertissement d’aucune sorte
Un être humain avec un étroit visage plissé
comme une pomme reinette de l’an passé…
.




Libre
.
Cette présence
qui rejette par son éclat
dans la sphère secondaire ce qui n’est pas elle
et fait de l’ombre à la lumière
.
quelle épreuve de la fréquenter
de la côtoyer tous les jours
en moi puisant son énergie
ma faiblesse l’exaspère
.
Du tronc blessé jusqu’à l’aubier
vois comme l’ambre saigne
Elle en nourrit son incendie
dont l’encens envahit l’azur
.
Présence désinvolte
Présence sans attaches
qui se donne et se reprend
inexplicablement.





.
Homo homini lupus
.
L’éléphant d’ébène sur son socle et le joueur de flûte noir
Le vase grec rapporté de Kanoni plein de souvenirs
et désoeuvré sur l’étagère (De profil la tête d’Apollon
cheveux libres le regard fixé sur un autre espace)
.
Faut-il penser aux humains mes contemporains
Être le miroir de leurs peines le jardin de leurs amours
Si accablant est le fardeau de l’humanité qu’elle
a de la peine à le supporter puisque ce fardeau
.
c’est elle-même et que rien ne pourra l’alléger
tant que l’homme restera un loup pour l’homme
comme disaient les Anciens qui espéraient
qu’un tel constat changerait les choses - mais rien !





.
Chutes de mai
.
Il y a ceux qui s’éprennent en vain d’une étoile
et le pêcheur qui la trouve endormie
cheveux blonds corps de lumière blanche
au fond de la barque où miroite une flaque d’eau
.
C’est mai les arbres neigent jusque sur les perrons
Un tourbillon de flocons s’envole sitôt
qu’ouvre la porte sur un paysage plein d’air pur
L’avion qui là-haut passe est peut-être celui
qu’on verra demain boule de feu tomber en mer
.
Fonds jonchés d’éclats d’aluminium et de reliques
Ceux qui sont restés à terre ont les yeux troublés
de larmes Ils se souviennent d’êtres qu’ils aimaient
Des au-revoir que le destin a changés en adieux
lourds de tout ce que le temps a d’irréversible
.
C’est mai Sur les acanthes bleues les chardonnerets
sont de retour le plumage en fleur et le bec volubile
Plus haut évoluent de grands nuages avec lenteur
Plus haut encore un infini d’azur noir est en voyage
.
J’ai ramené mon étoile à l’aurore naissante et posé
mes lèvres sur ses diaphanes paupières d’or rose
Elle a ouvert les yeux Elle n’a pas paru étonnée
J’ai noué l’esquif au quai Depuis lors elle demeure
chez moi Ensemble nous pointons les malheurs du monde
.
Il n’est pas certain qu’elle n’en éprouve pas de haine.


 

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commentaires

P
Bonjour,<br /> Peut-être ceci pourrait-il vous intéresser...<br /> <br /> https://www.youtube.com/watch?v=kBCDU_PnavQ<br /> Cordialement
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Merci beaucoup, j'irai entendre cette conférence.<br /> Cordialement.